Une journée d'auteur

Tableau de Yolanda Calle

U ne journée d'auteur peut s'avérer fameusement diverse selon les saisons, et surtout les époques, selon que l'on vit seul ou à deux, que l'on a quelqu'un dans sa vie, ou pas, des enfants, ou pas, que l'on est de bonne humeur ou en surmenage...

Le tableau choisi en illustration en dit long sur ce à quoi j'aspire - paix, lascivité, farniente - et dont je suis loin pour l'instant.

D urant ma période néerlandaise (où j'étais mariée), j'ai souvenir que j'écrivais beaucoup le soir, ce que je ne fais plus beaucoup aujourd'hui, dans une sorte de transe pour Le Bûcher des anges, que j'ai écrit chaque soir d'une traite, dans un état second  (à chaque fois au plus près et au plus loin de moi-même).

Puis j'ai déménagé à Bruxelles et je crois que pendant tout un temps je n'ai pas écrit, profitant de la vie (et de ma liberté retrouvée), mon grand  bonheur quotidien étant un café allongé pris au Bar de l'Union vers 9-10 h en lisant Le Monde... Après quoi, si traduction il y avait je travaillais l'après-midi, ou alors je lisais, sortais etc.

P uis il y a eu d'autres périodes d'écriture intense, comme la rédaction de La Femme sans nom (inédit) qui s'est fait en dix jours non stop, je dormais à peine, le texte s'écrivant en permanence dans ma tête, avec cette urgence à tout consigner vite vite de peur de perdre des bribes (ce qui fut hélas le cas), une frénésie jamais retrouvée depuis.

Il y a eu ensuite une période d'une année où des droits d'auteur conséquents (traduction de best-seller) m'ont permis de m'enfermer chez moi et de me consacrer uniquement à lectures, recherches et écriture pour un autre projet, bonheur intégral ! Je ne sortais pas pendant des jours à la suite, ne voyais personne, et j'ai adoré ça ! Faut-il le préciser, j'ai choisi de ne pas avoir d'enfants, ce qui permet de s'offrir ce genre de liberté sans léser personne.

I l y a eu une autre période où je cumulais un emploi de réviseuse au parlement belge et deux traductions, et où j'ai travaillé tous les jours, dimanche compris, de 7 h du matin à 1 h du matin, sans le moindre répit ou distraction, avec burn out à la clé pour terminer l'année... Bien entendu, pas question d'écrire alors.

Puis il y a eu la période (plus récente) où j'ai travaillé dans un bureau de traduction (comme réviseuse de textes UE), à temps plein (insupportable) puis à mi temps, et où les après midis alternaient entre traductions complémentaires ou écriture (car je suis rarement à court de projets !).

E n ce moment mes journées sont réglées, mais exit depuis longtemps mes délicieuses matinées devant Le Monde et un café allongé au Bar de l'Union, où je rêvassais aussi beaucoup, et réfléchissais à quelque écriture... Je me lève tous les matins à 8h30 (souvenir de mes trois années au bureau, je pense, qui furent une cruelle épreuve pour moi), suis devant l'ordinateur à 9 h avec une "mug" de café (allongé) et mon petit déjeuner, je branche Barock music (une station américaine) et entame alors la valse (alimentaire) des révisions UE que j'effectue à présent en freelance, plus souple. Pause déjeuner d'une heure environ, plus si je retrouve une amie, mais en semaine c'est rare, j'évite les tentations. Pas de traduction l'après-midi pour le moment - réel souci de ce double alimentaire, qui ne me facilite en rien la vie -, alors je profite de cette trêve pour écrire, sur un sujet particulièrement difficile (Shoah), ce jusque vers 18 h, toujours au son de Barock music  - ma station préférée, musique non stop, très peu d'interventions parlées, l'idéal quand on travaille/écrit.

E videmment, se mettre devant l'ordinateur ne signifie pas que l'on écrit non stop, parfois ça renâcle, alors on se distrait sur le Net. C'est le problème de l'écriture professionnalisée, et non un passe temps pulsionnel, inspiré... Je viens ainsi de passer 6 semaines (au moins) sur le camp de Buchenwald, à tourner autour du pot, à (re)lire les infos à reculons, à rêvasser, à refuser d'entrer dans le camp, en fait. Et surtout, à ne pas trouver le bon angle d'attaque. Six semaines, pour une dizaine de pages, jamais de ma vie je n'ai autant calé sur un sujet !

Régulièrement après l'écriture je pars m'allonger, et là j'analyse mentalement mes écrits du jour, et ce qu'il faudrait y changer... La position allongée - tout comme la méditation, que je pratique régulièrement - semble générer de nouvelles idées, assez souvent judicieuses. J'ai aussi fini par comprendre, mais il m'a fallu des années pour y parvenir, que même quand je n'écrivais pas, j'écrivais, au sens où soit je m'imprégnais de nouvelles sensations/histoires, soit je réfléchissais aux écrits en cours, et que cela aussi c'était de l'écriture !  Cela m'a déculpabilisée quelque peu, aussi quand je me documente (livres, films etc.).

C 'est une activité globale, en fait, à partir du moment où l'on est "entré en écriture", un peu comme on entre dans les ordres, l'on est traversé en permanence par des idées/envies d'écriture, qu'il est donc difficile de limiter à des heures de bureau... Personnellement,  je me force à présent à garder mes week-ends  libres (souvenir du bureau ??), ainsi que mes soirées, mais il fut un temps où j'écrivais quand ça me prenait, tout simplement, y compris en soirée. Aujourd'hui je me l'interdis, et c'est peut-être dommage, peut-être devrais-continuer de respecter mes horaires de l'après-midi - un minimum de discipline ne nuit jamais à un auteur, même si ce n'est pas du goût de tous - et suivre mes inspirations/impulsions à d'autres moments de la journée ? Car je suis plus productive le soir, je crois, il y a là une atmosphère de pénombre qui convient mieux à mes écrits feutrés...

Que je ne désespère pas, dès que j'aurai une nouvelle traduction (car un auteur vit rarement de ses propres DA), je serai contrainte de remiser l'écriture en soirée, voire de la laisser de côté tout un temps si je suis fatiguée par mes activités alimentaires, ce qui est dommage mais fait partie des dures réalités d'une vie d'auteur n'ayant pas eu la chance de naître rentier...

E videmment je rêve d'une vie idéale où je n'aurais plus à travailler, où je me réveillerais à mon heure, traînerais à nouveau au Bar de l'Union (ou ailleurs) en matinée (si possible en terrasse), lirais tout mon saoul, puis écrirais le reste du temps, sans avoir à me soucier des moindres contingences... Une vie méditerranéenne au bord de l'eau (de nouveau) ne serait pas pour me déplaire, mais gageons que la vie y serait si douce que je répugnerais alors à rentrer pour écrire, une activité que j'entreprends toujours seule chez moi...