Le Chardonneret au creux de la vague ?
Voilà, la grande déferlante Donna Tartt est passée ; après avoir trôné en 1re place quelque temps, elle a été détrônée par Edouard Louis (passe encore) puis par Katherine Pancol (…), pour se retrouver trois mois après sa sortie en 18e position (sur 100 ouvrages) dans le palmarès des ventes de Datalib, ce à la minute où j’écris ces lignes.
Pas si mal, me direz-vous. Il n’empêche que chaque semaine la voit reculer un peu plus, ce qui n’est pas très bon pour mes droits d’auteur à venir (en avril 2015). A toutes fins utiles, étant donné l’avance consentie à la signature du contrat, Plon devra avoir vendu 150 000 exemplaires du Chardonneret avant de pouvoir me payer un surplus quelconque…
Trois mois après un lancement en grande fanfare – Plon n’avait pas vu un tel succès depuis… 1989 – plus d’une centaine d’articles, dont une première page du Monde, des émissions radio et au moins une télévision (La Grande librairie), un état des lieux s’impose :
Le Chardonneret, avril 2014
Après un tirage initial à 40 000 exemplaires, le livre en est à son onzième (mais pas avec le même nombre d’exemplaires à chaque tirage), ce qui n’est pas trop mal en effet trois mois plus tard. Je n’avais malheureusement pas suivi d’aussi près les avancées de deux best-sellers traduits par mes soins auparavant (La Nostalgie de l’ange et Les Cinq personnes que j’ai rencontrées là–haut), donc je n’ai pas de point de comparaison pour dire si à ce stade-ci c’est encore prometteur, ou pas. J’avais néanmoins bénéficié de droits d’auteur (DA) assez conséquents sur les ventes (1 % pour l’un, et 2 % pour l’autre), donc 2015 peut encore me réserver de jolies surprises ; cela étant, il faut tenir jusque-là, c’est-à-dire toute une année ! Il y a aussi eu une publication chez France Loisirs (et ses filiales), ce qui est toujours bon signe, commercialement parlant, et peut rapporter pas mal de droits supplémentaires.
Je n’imagine néanmoins pas que cela aura l’ampleur des DA perçus par la traductrice de Cinquante nuances de Grey : 400 000 euros, largement mérités vu l’inanité du livre et les conditions de travail endurées, révélées par la traductrice herself : trois mois pour 560 pages, une horreur. Pour mémoire, j’ai bénéficié de six malheureux mois pour 787 pages, et ce fut d’ores et déjà un bien dur labeur dont mon corps se remet tout juste (ostéo non remboursé par l’éditeur… 😉 ).
Mais j’ai eu de la chance, je viens d’apprendre que les traducteurs de Dan Brown ont été enfermés dans un bunker trois mois durant pour traduire “en famille” et à la chaîne. Affolant ! Et démentes aujourd’hui, la plupart des conditions de travail des traducteurs de l’anglais, surtout ceux de best-sellers.
Chez Plon je dois dire que j’ai été bien entourée et secondée, et que lorsque j’ai eu besoin d’aide ou de conseils, l’éditrice, ou Nabokov, étaient là.
Sa remplaçante depuis m’avait proposé, lors du cocktail de janvier autour de Donna, une grosse traduction se passant dans le milieu punk à NYC, à entamer cet été et pas en six mois, je m’en étais assurée ! Les aléas (nombreux) de l’édition étant ce qu’ils sont, la traduction s’est envolée en même temps que l’éditrice partie vers de nouveaux horizons… Vous avez dit milieu instable et difficile ?
Cette même charmante éditrice s’étonnait que mon téléphone n’ait pas sonné non stop depuis la sortie du livre, et pourtant…
Petit inventaire laudatif
J’ai néanmoins eu droit à mon heure de gloire, moi aussi : une mini interview d’une journaliste du Vif L’Express – qui n’a finalement pas eu la place de le publier – une autre à venir sous peu pour un magazine culturel en ligne, une émission radio et six articles de presse faisant les éloges de mon travail, j’en ai déjà parlé je crois, ici et sur FB. Par contre, j’ai eu la surprise de constater que, pour nombre de journalistes peu respectueux (un bon quart, voire plus, dont Télérama !), le livre s’était traduit tout seul en français et qu’il n’était absolument pas nécessaire de mentionner le nom de la traductrice, quantité négligeable s’il en est ! Si j’avais eu du temps à perdre, j’aurais protesté. Cela étant, je ferais bien de le signaler à l’ATLF tout de même.
Ah oui, et les employées de ma librairie bruxelloise préférée, qui ne m’ont jamais rien dit pour mon propre roman ou d’autres traductions d’une très grande envergure (et difficulté) littéraire effectuées par mes soins, m’ont félicitée pour ce travail – la notoriété d’un livre rejaillit donc forcément sur son traducteur – ce qui n’a pas manqué de m’amuser. Elles ont rêvé avec moi à l’idée d’inviter l’auteur, puis y ont renoncé, sans même être effleurées par l’idée qu’elles pourraient inviter la traductrice, qu’elles connaissaient, elle, et qu’elles avaient sous la main puisque j’habite Bruxelles…
Cela étant, les foules éditoriales en délire ne s’étant pas bousculées à ma porte ensuite, j’ai dû reprendre mon bâton de pèlerin pour concocter cinq magnifiques dossiers de presse contenant les extraits d’articles en question à envoyer à cinq éditeurs pour lesquels j’avais travaillé “autrefois”, et avec lesquels le lien s’était rompu pour cause de changements éditoriaux au sein de leur maison. Je pense d’ailleurs que, même si cela ne se fait pas et ne débouche généralement sur rien, j’ai intérêt à surfer sur cette exceptionnelle vague et à reconcocter d’autres dossiers de presse, que j’enverrai cette fois à des éditeurs convoités. A suivre…
Pour avoir lu de fort mauvaises traductions (que j’aurai la courtoisie de ne pas nommer) de best-sellers plus ou moins bons de leur côté – mais Dieu seul sait dans quelles conditions elles ont été effectuées – je me permettrai d’affirmer en tout cas que la qualité d’une traduction (ou son absence) n’influe en rien sur le succès d’un ouvrage. Apparemment, tout le monde s’en fiche !
A contrario, ce qui ne cesse de m’amuser dans les louanges que j’ai moi-même glanées, c’est comment diable savent-ils que c’est bien traduit alors que (dans la plupart des cas) ils n’ont pas eu accès à l’original ? Car une belle/bonne traduction n’est pas seulement une traduction fluide (ça, c’est le b-a ba), c’est une traduction fidèle ! Et là-dessus je savais que, au vu de ma vitesse d’exécution – une moyenne de 4 pages par heure x 10 heures par jour – j’avais dû laisser passer des erreurs… Et en effet, elles m’ont été pointées par l’auteur herself qui, cauchemar de tout traducteur, lisait et comprenait le français… Or qui connaissait mieux l’original qu’elle et pouvait comparer sans faillir ?
J’ai ainsi appris que ma traduction de Moucheron (dont j’étais si fière) pour Specs – un surnom basé sur spectacles, mot basique que j’avais complètement loupé alors que j’avais su traduire des passages sur l’ébénisterie d’une effroyable complexité !! – aurait dû être Binoclard ou Quat’z yeux ; j’avais confondu avec speck, petite tache, honte à moi. J’en passe et des pires, 20 erreurs en tout, dont deux ou trois qui ne m’étaient pas imputables, ce qui, sur 787 pages et vu les conditions de travail, n’est pas si mal in fine. Donc, selon l’époque où vous aurez acheté le roman, vous trouverez Moucheron ou Binoclard en milieu d’ouvrage, ce qui, je vous l’accorde, n’est pas tout à fait la même chose…
Ma coopération à ce sujet – car il y a ensuite eu de nombreux allers-retours entre Donna Tartt et moi-même – et mon travail d’ensemble dont elle s’est dit fort satisfaite, m’ont par ailleurs valu, étonnante première, les remerciements de l’auteur dans la version corrigée de l’ouvrage (3e tirage) !
Le Chardonneret, suite et fin !
Dans une prochaine newsletter je viendrai partager avec vous les passages les plus compliqués du livre : la scène de l’explosion, un tel cauchemar à traduire que j’ai failli rendre mon tablier à ce moment-là ; les descriptions ès ébénisterie, autre cauchemar, et le passage sur les paris sportifs que je n’ai pu maîtriser que grâce à l’aide d’un “recherchiste” émérite. Je suis sûre que vous vous étonnerez alors que je n’ai pas accumulé plus de 20 fautes en 787 pages !!
Et la suite aujourd’hui : un article de presse (fort bien payé !) de RJ Ellory à traduire pour Le Vif-L’Express qui m’avait interviewée, et une sympathique petite traduction (300 pages) à venir en mai, pour laquelle j’ai pris soin que l’on m’accorde largement six mois – pour trois fois moins de travail !! – afin de pouvoir peaufiner en paix ce que j’espère façonner en un petit bijou. Rêvons un peu.
Je commence à avoir du métier, oui, et quand je parle de 4 pages par heure cela signifie rédigé en abrégé et sans avoir vérifié le vocabulaire ! Merci pour votre intérêt, et votre curiosité sans cesse renouvelée, cher Jean-Paul !
Les cadences infernales n’existent pas que dans l’industrie, le monde de l’édition semble aussi les imposer à ses traducteurs ! En tout cas, il faut vraiment « avoir du métier » pour produire un résultat de qualité avec un rythme pareil. Il est heureux que ce soit à vous que PLON ait confié la traduction d’un tel pavé. J’attends avec impatience de lire la genèse des passages les plus ardus et de découvrir le petit bijou dont la confection vous a été confiée.