Créées fin 2012 à Bordeaux, les éditions Mirobole vous invitent à pénétrer dans des mondes inconnus à travers leurs deux collections, « Horizons noirs » pour la littérature policière,
et « Horizons pourpres » pour la littérature de l’imaginaire. Anticipation russe, polar polonais, absurde sauce moldave, conte d’épouvante suédois, whodunit version turque… de
véritables expéditions littéraires en terres étrangères.
Entretien avec Sophie de Lamarlière, co-fondatrice.
1-Vous semblez vous être placées d’emblée sous le signe du pluriculturalisme. N’est-ce pas un pari insensé par ces temps éditoriaux difficiles, quand on sait que cela implique, entre autres frais généraux, un coût d’achat de droits de traduction, et ensuite les émoluments du traducteur ?
Insensé, oui, c’est tout à fait le terme ! Il faut être passionné pour se lancer dans la littérature étrangère aujourd’hui. D’autant que, et heureusement, les traducteurs sont mieux rémunérés qu’avant. Mais nous avons parié sur la curiosité des lecteurs, qui ne trouvent pas toujours de littérature intéressante en France et sont avides de découvrir des terres vierges ou quasi.
2- Etre une petite maison (par la taille, mais grande par l’ambition !) serait-il un atout garant de liberté éditoriale, entre autres avantages ?
La liberté, c’est d’abord la possibilité d’exister, et de perdurer. Donc il nous faut arriver à plus de stabilité pour envisager l’avenir de manière plus sereine, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas aujourd’hui, malgré de très bons débuts. Sinon, oui, bien sûr qu’une petite structure permet plus de liberté : nous ne sommes pas dix à prendre les décisions, nous ne publions que ce qui nous enthousiasme, notre diffuseur et les libraires nous garantissent une belle autonomie… Notre toute première parution a ainsi été un recueil de nouvelles incroyable, Je suis la reine, de l’auteur russe Anna Starobinets ; si nous avions été une plus grosse structure, avec des impératifs économiques plus contraignants, faire ce choix aurait été impossible. On fonctionne à la « foi », on prend le temps d’installer des auteurs.
3- Qu’est-ce qui, selon vous et dans les deux domaines qui sont les vôtres, fait un bon livre ?
Un bon livre, c’est un auteur qui arrive à toucher le lecteur, à susciter une émotion chez lui. C’est donc d’abord un ton unique. C’est souvent aussi une analyse percutante de la réalité. C’est enfin la capacité du livre en question à toucher le lecteur au moment précis de sa parution, ce qui n’est pas forcément évident. Le chef-d’œuvre inconnu, ce n’est pas notre ambition !
4-Et qu’est-ce qui fait un bon livre traduit, donc une bonne traduction ? Les mêmes critères ?
Non, pas les mêmes critères puisque le traducteur ne propose pas son univers, mais celui de l’auteur. Une bonne traduction, c’est une fidélité à l’univers de l’auteur, à son style, c’est aussi une audace et une inventivité qu’il faut souligner, ainsi qu’un fol amour de la langue française ! Nous aimons bien recruter des jeunes traducteurs, pas forcément très expérimentés, mais chez qui nous décelons du talent et de l’enthousiasme ; parfois, ils sont plus « chevronnés » et c’est aussi une expérience très enrichissante. En tout cas, je demande toujours un essai sur quelques pages, et je sens tout de suite s’il y a une adéquation entre le traducteur et l’auteur.
5- Pari osé, vous ne semblez d’ailleurs publier que des traductions, ce qui est assez inhabituel ! Pourquoi ? Vous ne trouvez pas le genre de livres que vous cherchez auprès de plumes françaises ?
La littérature étrangère, pour moi, c’est un peu le symbole du goût de l’autre, c’est cela qui m’intéresse. Et je ne le retrouve pas forcément chez les auteurs français, souvent davantage tournés vers l’introspection, la quête familiale ou psychologique… Même si j’ai l’impression qu’on arrive à un tournant et que les auteurs français se détournent de plus en plus de la littérature « nombriliste » pour faire vraiment embarquer le lecteur. Donc nous n’excluons pas du tout de publier à terme des auteurs français, la réalité de notre pays est devenue tellement ubuesque qu’ils devraient trouver matière à inspiration sans trop de peine !
6-Comment choisissez-vous les livres en question ? Un prix, une histoire, des critiques ? Vous avez des « scouts » littéraires, ou bien tout se décide à la Foire de Francfort ?
Ni l’un ni l’autre, heureusement ! Pas de scouts pour l’instant, nous faisons sans, avec du temps et beaucoup de curiosité. Je discute avec des lecteurs dans tel et tel pays, pour savoir ce qu’il y a d’intéressant en librairie chez eux ; nous avons des rapports privilégiés avec des agents littéraires assez talentueux, ou directement avec des maisons d’édition étrangères. Nous naviguons pas mal sur Internet aussi, à la recherche de la perle rare. En général, c’est plutôt une démarche personnelle, c’est rare qu’un livre nous soit proposé sur un plateau d’argent…
7-J’ai particulièrement aimé ce livre publié chez vous, L’Autre Ville de Michal Ajvaz, un récit fantastico-merveilleux d’un auteur tchèque dont j’ignorais tout jusque là. Comment s’est-il frayé un chemin jusqu’à vous ?
Ajvaz est vraiment l’histoire d’un coup de cœur. Nous le devons à une formidable agente littéraire en République tchèque, qui a su me faire partager son enthousiasme. Une traduction anglaise était disponible, j’ai donc pu me plonger dans ce texte, ensuite j’en ai parlé autour de nous, à des traducteurs, et malgré le défi que représentait un tel roman j’ai tenu bon…
8-Dans tous vos choix, vous fonctionnez au coup de coeur ou c’est plus cérébral, analytique que cela ?
Il y a toujours un peu des deux : un coup de cœur dont nous savons qu’a priori il se vendra très peu, nous en publions et nous l’assumons, mais nous tâchons tout de même de choisir des titres que nous saurons défendre, et donc vendre, ne serait-ce que par respect pour l’auteur qui mérite toujours le meilleur !
9-Un livre étranger doit-il contenir certains ingrédients pour séduire un public francophone, ou bien tout livre étranger est forcément intéressant parce qu’étranger ?
Je crois que les lecteurs français sont exigeants avec la littérature étrangère, parce qu’ils en ont toujours eu de la très bonne chez eux. Donc lire de la littérature étrangère parce qu’elle est étrangère, je ne pense pas que cela les intéresse, et je suis comme eux. Ils choisissent un livre parce qu’il leur apporte une vision originale, différente, avec de la satire, ou de l’humour… Au-delà des singularités de tel pays, de telle culture, les bons auteurs sont ceux qui ont une stature universelle. Un peu comme le dit Térence : « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger. ». Peu importe qu’on soit marseillais, moldave ou mongol, ce qui compte c’est ce qu’on à dire.
10-Diriez-vous que la littérature étrangère, forcément plus exotique, est par ailleurs narrativement plus riche que la française ?
C’est clairement mon impression, mais bien sûr ce sont des généralités, et c’est bien moins vrai maintenant. Peut-être le succès de la littérature étrangère a-t-il fait comprendre aux auteurs français que les lecteurs attendaient de vraies histoires, de vrais personnages ?
11-Pouvez-vous nous recommander 3 livres de votre catalogue pour un lecteur qui voudrait découvrir Mirobole ?
Ce ne sont plus des questions, c’est de la torture… ! Mais à la réflexion, les trois titres « mirobolants » à lire toutes affaires cessantes seraient : L’Autre Ville, de Michal Ajvaz, une fabuleuse plongée onirique, un roman plus étrange qu’étranger ; Les Impliqués (ou Un Fond de vérité), de Zygmunt Miloszewski, un polar polonais intelligent et passionnant ; et, enfin, les incroyables polars turcs d’Alper Canigüz, au choix L’Assassinat d’Hicabi bey ou Une fleur en enfer, à la fois très noirs et très loufoques, un bonheur de lecture.
12- Vos projets, vos envies jusque fin 2015 (et au-delà si vous en avez) ?
Je voudrais conquérir davantage de libraires, ce sont vraiment des passeurs essentiels pour nous et j’aimerais prendre davantage de temps pour les rencontrer car nos discussions sont toujours passionnantes et ils exercent un métier très exigeant. Et puis découvrir et faire découvrir de nouveaux territoires, en ce moment je m’intéresse beaucoup à la Grèce, au Portugal, à l’Asie… Et puis, étoffer l’équipe serait un vrai pas en avant. Nous y travaillons !
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