Une fois n’est pas coutume, ce blog (http://www.new.soonckindt.com) consacre une page à la recension d’un essai, qui pourrait s’intituler La Fin de l’innocence… Jugez plutôt :

Face à une œuvre d’art, il y a d’un côté les néophytes (dont je suis) qui pratiquent une approche instinctive, sensuelle ou sensorielle d’un tableau donné, et de l’autre les intellectuels (prenons au hasard Jacques Darriulat et Raphaël Enthoven) qui analysent, réfléchissent, dissèquent, supputent, glosent et morcèlent telle ou telle œuvre jusqu’à épuisement des idées et des conjectures.

Ma réaction première au Vermeer, le jour et l’heure de ces deux philosophes fut l’enthousiasme, indéniablement, portée que j’étais par l’intelligence de la réflexion et la beauté du verbe.

Ainsi se promènera-t-on en bonne compagnie, de Platon à Proust en passant par Descartes et Pascal et, de musée en musée, ainsi découvrira-t-on nombre d’œuvres de Vermeer – de la Dentellière à la Laitière en passant par la Liseuse à la fenêtre et autres tableaux – ainsi que celles de peintres de son époque, d’ailleurs. Quelle richesse dans le savoir de ces deux philosophes ! C’est indéniablement un travail de grands érudits qui échangeront pour nous questions et réponses agencées en quatre parties assorties d’un épilogue.

A l’occasion de cette recension, j’ai découvert qu’il existait déjà nombre d’essais sur Vermeer mais, ne les ayant pas lus, je ne saurais dire si ces auteurs s’en inspirent, ni s’ils font mieux dans les diverses théories qu’ils avancent et qui leur servent à analyser les tableaux de ce maître incontestable du XVIIe – au succès tardif, apprend-on par ailleurs. Ce qui est certain, c’est qu’ils ne manquent pas d’imagination ! Parmi les nombreux concepts qu’ils vont brasser, dans une subjectivité assumée, la poétique de la lumière m’a particulièrement enchantée, et il est clair qu’ils emmènent le néophyte vers d’autres chemins que ceux qu’il n’aurait même pas osé concevoir ! D’ailleurs, il en aurait été bien incapable puisque néophyte, justement. Alors qu’il est souvent question de musées (que l’on suppose visités), il est néanmoins curieux qu’il ne soit fait nulle part mention de la dimension franchement réduite des Vermeer exposés au Mauritshuis (à La Haye) et l’extraordinaire exploit consistant à intégrer autant de détails minutieux dans un espace aussi réduit ! On n’est certes pas dans le cas de cet étonnant tableau de Rubens de la taille d’un timbre-poste (!) exposé au Musée des Beaux-Arts de Tournai (Belgique), mais l’on est tout de même face à des tableaux bien petits, ce qui confère encore plus de valeur au travail du peintre et aurait valu la peine d’être souligné.

En fin de parcours (le livre compte 293 pages), on court le risque de se lasser des théories explicatives sur tel ou tel détail que l’on pourra trouver un peu tirées en longueur – le néophyte privilégiant une approche instinctive, sensuelle ou sensorielle, ainsi qu’évoqué plus haut ; mais emporté par la beauté du style et la précision lexicale, qui enchante sans jamais rebuter, ce ne sera que temporaire et l’on gardera au cœur le souvenir d’une bien belle promenade à travers un territoire pictural pour le moins riche et foisonnant.

Avec pour paradoxal regret d’avoir perdu, en lisant ce remarquable essai, un tout petit peu de son innocence originelle, que l’on aura troquée contre des interprétations savantes qui, probablement, feront que l’on ne regardera plus jamais un tableau de Vermeer (ou de quiconque, d’ailleurs) comme on l’avait fait jusque-là !

Edith Soonckindt

Vermer, le jour et l’heure, de Jacques Darriulat et Raphaël Enthoven, Fayard, 293 pages.

 

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