Foin de la rentrée et de tous ses excès !
Parlons plutôt de vous et de vos écrits, au cas où vous voudriez être de la partie l’an prochain… 😉
Cette semaine je m’adresse donc à ceux qui auraient une petite autobiographie en tête, ou déjà sur leur disque dur…
Comme j’avais rédigé cet article avant la rentrée, je ne vous parlerai pas des quelques autobiographies lues depuis, mais cela viendra sûrement (Un Héros, de F. Herzog, La Réparation, de C Schneck et Ville des anges, de C Woolf). Sachez déjà qu’elles m’ont toutes les trois déçue, que chacune péchait par un fouillis narratif très préjudiciable à la compréhension (et donc à l’intérêt) du livre, ce qui me fait dire céans que n’écrit pas une bonne autobiographie qui veut ! (même pas les écrivains de bonne réputation comme Christa Wolf).
Bien.
Soit.
Fouillons plus avant…
Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?
Je vous avais déjà parlé de l’autobiographie comme de l’un des genres « porteurs » en vue d’être édité, au même titre que le roman historique, et une lecture effectuée il y a quelques mois déjà m’a donné l’envie de vous en reparler de manière plus globale.
Il s’agit de Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? de Jeanette Winterson, traduit par Céline Leroy chez l’Olivier.
Avant de vous en parler, j’aimerais néanmoins effectuer un petit détour par la littérature française et par trois auteurs dont vous avez au moins entendu parler, à défaut de les avoir lu(e)s : Annie Ernaux, Delphine de Vigan et Christine Angot, les deux premières étant auteur(e)s d’autobiographies, la dernière d’autofiction, autrefois en tout cas – cet article-ci a été écrit avant mon article de la rentrée sur Angot. Avec de nombreux et divers journaux, Gabriel Matzneff a lui aussi longtemps tenu le haut du pavé, mais ne l’ayant jamais lu, ni lui ni bien d’autres d’ailleurs, je m’abstiendrai de tout commentaire ; les vôtres sont les bienvenus par contre, si d’aventure vous l’avez lu, lui ou d’autres pratiquants de ce genre.
J’ai sinon bien lu Annie Ernaux, Delphine de Vigan, et Christine Angot.
Peut-être parce que je suis une femme.
Et que les vies de femmes m’intéressent ; à condition qu’elles soient intéressantes évidemment, ou qu’on les présente comme telles.
Qu’est-ce qui fait qu’une autobiographie fonctionne ?
Et là est toute la clé des autobiographies réussies : une vie qui vaille la peine d’être racontée ; et un minimum de style qui la soutienne. C’est le cas d’Annie Ernaux. Ce n’est pas une grande styliste – encore qu’il ne faille pas sous-estimer la difficulté d’écrire simplement – et son enfance n’a rien d’original ni même de sensationnel, il s’agit d’une petite vie provinciale avec ses soucis de classe sociale, ses marqueurs culturels de toute une époque, et malgré tout c’est intéressant ; parce qu’est intéressant le regard qu’elle pose sur cette vie-là, qu’elle a refusé de tout son corps puisque, fille d’épiciers, elle est devenue agrégée de lettres.
Suite à quoi ses tableaux d’une vie bourgeoise font tout autant froid dans le dos, autant que son récit terrifiant d’un avortement illégal ou celui d’une passion amoureuse post divorce. Rien de sensationnel chez Ernaux, ni dans sa vie ni dans son style, et pourtant, comme chez Sagan, il y a une petite musique qui séduit, voire qui enchante, et qui fait que, même si ce n’est pas de la grande littérature, cela se lit avec intérêt, celui d’une analyse sociologique peut-être, et qu’à Noël dernier j’ai dévoré les mille et quelques pages de ce recueil chez Quarto contenant quasiment toute son œuvre (Ecrire la vie).
Vous voulez écrire votre vie ? Attention, danger !
Il est convenu d’asséner que tout un chacun porte en lui au moins une histoire publiable, celle de sa vie : c’est faux, même si ce mythe enrichit l’autoédition et le numérique fourre-tout (j’y reviendrai).
Chaque jour mon voisin écrit l’histoire de sa triste enfance, qu’il m’a fait lire. C’est intéressant pour lui, et sûrement thérapeutique, mais c’est inintéressant pour autrui – aucun art de raconter n’est à l’œuvre et les détails prennent le pas sur l’essentiel page après page, noyant irrémédiablement tout intérêt – et donc impubliable, en tout cas à compte d’éditeur.
Une autre personne m’a confié il y a peu un manuscrit prometteur au niveau évènementiel puisqu’il s’agissait du meurtre de son fils par sa femme, dont il a réussi à faire un récit d’une platitude totale par manque d’angle narratif et le souci de tout dire (la rencontre, le mariage) avant d’entrer dans le vif du sujet (le meurtre) alors que c’était par lui qu’il fallait commencer, évidemment, en élaguant oh combien le reste.
Si vous devez faire du thérapeutique, inspirez-vous plutôt de Chloé Delaume dans Le Cri du sablier (voir mon article in Ma bibliothèque idéale), qui a su transcender le meurtre (sous ses yeux !) de sa mère par son père grâce à un style d’une originalité et d’une violence extrême. Ou bien de Christine Angot dans tous les livres précédant Pourquoi le Brésil qui marque le tournant vers une narration aussi banale que son style, au point que lorsque j’ai lu Les Petits, son avant-dernier, j’ai cru lire un article de la presse féminine… Avant Christine était épatante, elle avait son univers, l’inceste, sorte de pré carré qui lui allait bien au teint (ou qu’en tout cas elle maîtrisait de main de maître) et surtout elle avait une voix, un style, unique, qui faisait d’elle un écrivain à part entière, avant.
La différence cruciale
Leçon : si l’on a un univers et un style, c’est là que l’on bascule de l’autobiographie vers l’autofiction, travail d’écrivain plutôt que de sociologue de soi, ou en tout cas pas uniquement.
C’est pourquoi Chloé Delaume (dans ce livre précis) et Christine Angot (dans tous ses livres jusqu’à Pourquoi le Brésil, je me permets d’insister), ainsi que Jeanette Winterson sur qui je reviendrai, sont des auteurs d’autofiction et les autres d’autobiographies. Parce qu’elles ont su transformer le réel, tout en gardant un effet de réel, ce qui est du grand art. A vous de choisir votre camp, en tant que lecteur et en tant qu’auteur, en fonction de vos affinités et de vos capacités.
Pour trouver des sujets plus, ou au moins aussi, porteurs que ceux de Chloé Delaume, Christine Angot et Jeanette Winterson, vous allez devoir faire fort, fouiller les archives familiales ou faire parler vos ancêtres !
Mais c’est jouable, encore et toujours si vous choisissez bien votre angle narratif et un style « intéressant » qui sache porter une histoire qui le soit tout autant.
C’est encore le cas de Delphine de Vigan dans Rien ne s’oppose à la nuit qui, s’il n’est pas un chef d’oeuvre littéraire, est en tout cas un livre bigrement intéressant, et émouvant (je l’ai lu d’une traite, comme Annie Ernaux !) sur la bipolarité, d’autant plus terrible dans ce cas-ci qu’il s’agit de celle de sa mère et de ses terribles incidences sur toute la famille. Elle a mené son enquête familiale, déterré quelques fantômes et ce fut payant puisqu’elle a obtenu le Grand Prix des lectrices de Elle.
Pourquoi être heureux quand on peut être normal (bis) !
Quant à mon auteur(e) anglais(e) citée au tout début, Jeanette Winterson, dont le livre m’a particulièrement touchée puisqu’il se passe dans le Nord de l’Angleterre où j’ai vécu cinq ans, elle y raconte sa vie d’enfant adoptée par une famille ultra pratiquante genre Témoins de Jéhovah, où la bibliothèque ne contenait pas plus de six livres, où on l’enfermait régulièrement à l’extérieur de la maison, et où la violence maternelle a fait d’elle une enfant maltraitée et pétrifiée, mais aussi l’écrivain qu’elle est devenue aujourd’hui et dont la réputation n’est plus à faire en Angleterre.
A vos plumes à présent, pour peu que ces exemples vous aient inspirés !
Si vous avez dans votre vécu une histoire émouvante ou étonnante qui, de préférence, n’a jamais été racontée dans un livre à ce jour, et si vous pensez pouvoir le faire de manière originale (autofiction), ou en tout cas intéressante (autobiographie) et dramaturgiquement organisée (en sachant par ailleurs séparer le bon grain de l’ivraie et éliminer les détails qui n’intéressent que vous), alors lancez-vous !
Et vous aurez alors peut-être une chance d’être publié(e). De tout cœur je vous le souhaite !
N’hésitez bien sûr pas à me consulter via mél ou commentaires si vous souhaitez tester vos idées…
Mets donc, je t’en prie, c’est toujours intéressant venant d’une grande lectrice, et d’une poétesse, comme toi ! 🙂 Ravie que cette lecture t’ait passionnée jusqu’au bout, ton enthousiasme est communicatif, je viens de le commander ! Ainsi nous aurons de quoi alimenter une prochaine conversation à La Porteuse d’eau… 😉
Je termine à l’instant Lunar Park de Bret Easton Ellis. En voilà un qui se joue de toutes règles et mélange allègrement autofiction, autobiographie et fiction. C’est le roman de la transcendance, donc c’est forcément autobiographique. Il tente de dominer ses peurs en donnant vie à ses démons -qu’il manipule avec brio. C’est passionnant de lire à quel point il contrôle de ses délires (humains ou animal monstrueux !), qui deviennent malléables sous sa plumes expertes. Car ici, il donne sans doute plus de sa propre substance que dans les romans American Psycho ou Moins que zéro (à lire avant d’aborder celui-ci). Malgré la folie, la drogue et l’alcool qui sont aussi les ingrédients des livres évoqués, l’auteur cherche à se sauver en menant une vie « normale ». C’est ce qu’il raconte et on voit où, magistralement, cela le mène. La fin de ce roman m’a scotchée par sa beauté, par sa poésie. La fin est une apothéose qui, d’une certaine manière, annule tous les déboires ou plutôt, les dépasse.
Voilà Edith, j’avais envie de mettre encore un petit grain de sel sur ton site.
Salut Edith,
Je comprends bien que tu n’aies pas le temps. Je suis aussi tout le temps en train de courir et à mendier un peu d’espace pour l’écriture, pour la réflexion et pour la discussion autour de littérature. Il n’empêche que la distinction que tu fais entre l’autobiographie et l’autofiction m’a vraiment mis l’eau à la bouche. Je ne pense pas encore en avoir saisi toutes les subtilités. J’espère qu’on aura l’occasion d’en reparler. Vraiment ce sera avec grand plaisir.; quand le temps se présentera ou que nous le forcerons…
Zut, je n’ai pas dû suffisamment broder sur le sujet. Je viens pourtant, suite à ta réflexion, de rajouter une phrase explicative dans l’article pour expliquer que l’autofiction transcendait le réel, elle, tout en sachant garder l’effet de réel (subtil distinguo)… Mais je ne sais pas si ça rend l’argument plus clair, ni si c’est suffisant ? En clair l’autofiction est du côté de la littérature, la vraie, avec généralement un « effet d’écriture », alors que l’autobiographie est plus plate, linéaire, factuelle, terre à terre, sans inventivité au niveau de l’écriture, juste soucieuse de (bien) raconter une histoire (revoir les exemples que j’ai donnés).
Comme je te comprends, Caroline !
Pas le temps, dans le cadre d’un tel article, de recenser trop de livres (outre que je n’ai pas tout lu non plus), mais j’espère au moins avoir apporté le minimum utile (vital ?) à une réflexion sur ses propres écrits, leur catégorie, et surtout leur pertinence !!!
Merci pour cet article intéressant Edith. On a envie d’en savoir plus sur cette distinction entre autobiographie et autofiction et sur les auteurs qui les pratiquent. Pour ma part je pense que je préfère l’autofiction ou plutôt la fiction totale inspirée légèrement par l’autobiographie. Et les biographies, j’aime qu’elles soient bien écrites, qu’elles soient éblouissantes comme celles écrites par Stefan Zweig. Je regrette le caractère souvent anecdotique des autobiographies qui trop terre à terre délivrent peu de messages à caractère universel.
Et j’ajoute : « La fiction est souvent plus vraie que l’autobiographie »… cité par Modiano lors de son dernier passage dans La Grande Librairie 😉 A développer aussi…