Je vous avais promis la dernière fois des impressions de lectures concernant des récits ou romans historiques.
Pour des raisons de facilité (et surtout de fraîcheur de mémoire !) j’ai choisi 3 livres sortis en cette rentrée, dont deux sont hélas loin d’être satisfaisants, mais qui prêtent au moins le flanc à une lecture critique, donc utile. Seul le troisième (le dernier pour les plus pressés) a trouvé grâce à mes yeux !
Ville des anges (Seuil), de Christa Wolf, était porteur de belles promesses, d’où mon achat.
Jugez plutôt : en automne 1992, trois ans après la chute du mur, puis deux ans après la réunification des deux Allemagnes en octobre 1990, Christa Wolf, 63 ans, foule le sol américain pour la première fois de sa vie et séjournera neuf mois dans la lumière californienne. La narratrice de ce roman, une écrivaine de l’ex-RDA -Christa Wolf elle-même ?- s’éloigne d’une Allemagne qu’elle ne supporte plus. Grâce à une bourse d’auteur en résidence, elle se rend à L A pour éclaircir un mystère : son amie Emma lui avait remis avant de mourir un paquet de lettres signées L. Qui est cette L ? Une amie exilée aux Etats-Unis pour fuir le nazisme ? Pourquoi Emma lui a-t-elle caché son existence ? Au rythme d’une prose d’une grande virtuosité, Christa Wolf entremêle narration et réflexion, le récit du séjour californien (reportages sur les quartiers pauvres de Los Angeles, sur les visites à Pacific Palisades des villas de Thomas Mann et de Bertolt Brecht, écrivains qui hantent l’ouvrage) et les évocations des moments clefs de sa vie : son enfance sous le Troisième Reich, l’exode du printemps 45, les premières années enthousiastes dans une Allemagne de l’Est portant l’espoir d’un monde meilleur. Puis le temps des désillusions, des graves conflits, enfin le bouleversement de l’automne 89, et le rôle important qu’elle y joua. Mais une blessure habite aussi le coeur de ce récit : les accusations de collaboration avec la Stasi de 1959 à 1962 portées contre Christa Wolf, en son absence, par les médias ouest-allemands.
L’auteure s’oblige alors à exhumer ses souvenirs personnels, à s’y confronter : un douloureux travail sur soi que l’éloignement permet enfin.
Hélas, après 400 pages d’une narration pour le moins confuse et alambiquée (mais où est la grande virtuosité promise ?), je n’ai strictement rien retenu de cet ouvrage qui m’intéressait pourtant à trois égards : l’aspect « résidence d’écriture » pour en avoir connu quatre, l’aspect « Californie » pour y avoir vécu une année, et l’aspect « ex RDA » par pur intérêt historique, on y arrive !
Eh bien, 400 longues pages plus tard, je n’ai pas vraiment trouvé de réponse concernant la mystérieuse L et ses non moins mystérieuses lettres, l’ex RDA ne m’a livré aucun secret détonnant, ni sur elle ni sur les implications de l’auteur à l’époque, auteur dont je retiens surtout les menus dégustés au fil de son séjour californien et dont le descriptif détaillé émaille à peu près une page sur quatre ! Dire que j’ai été déçue est un euphémisme !
Moralité : mélanger l’histoire à un vécu personnel est dangereux, surtout quand on ne sait pas trier le détail de l’essentiel, un problème que je crois avoir déjà souligné dans de précédentes recensions, hélas ; en ce sens, Un Héros de F Herzog, au moins bien écrit, en est un autre triste exemple, avec un éparpillement narratif dont on ne comprend pas comme il a pu échapper à l’éditeur et autres réviseurs ! Je ne connaissais pas Christa Wolf, me faisais vraiment une fête de la découvrir et, je le crains à présent après cette médiocre histoire, ne me soucierai pas de le découvrir plus avant, et au diable les critiques élogieuses qui la sacrent grand écrivain allemand. Je préfère Handke, et de loin !
La Réparation (Grasset) de Colombe Schneck, m’a tendu les bras…
Les critiques – celles que j’ai lues en tout cas – n’étaient pas vraiment dithyrambiques concernant cet ouvrage, l’une mauvaise, l’autre sur le mode du pour/contre. Je l’ai néanmoins acheté parce que la thématique (Shoah) me parlait et que, comme je travaille sur ce même sujet, je voulais voir quel angle l’auteur avait adopté et comment elle s’en tirait.
L’exercice n’est pas facile, l’on en conviendra, d’autant moins quand l’on n’est que le « rapporteur » d’un événement tragique de cette période que l’on n’a pas connue soi-même, événement passé sous silence et que l’on se mêle de vouloir faire éclater au grand jour.
Voici d’abord ce qu’en dit son éditeur :
« Je me suis d’abord trompée.
Je me disais c’est trop facile, tu portes des sandales dorées, tu te complais dans des histoires d’amour impossible, tu aimes les bains dans la Méditerranée et tu crois qu’une fille comme toi peut écrire sur la Shoah ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit. La petite Salomé, dont ma fille a hérité du beau prénom, mon arrière grand-mère, mes oncles et tantes, mes cousins, vivaient en Lituanie avant la guerre. Ils appartenaient à une communauté dont il ne reste rien.»
Que s’est-il vraiment passé dans le ghetto de Kovno en 1943 ? Et pourquoi cette culpabilité en héritage ?
Dans ce roman-vrai, Colombe Schneck remonte le temps et fouille les mémoires. Jusqu’à la découverte d’une vérité bouleversante.
Et mon verdict après lecture d’une traite (il convient de le souligner !) par un soir pluvieux de septembre à Bruxelles :
Intéressant, indéniablement.
Se lit facilement, sûrement (voir supra), mais cela n’a jamais été une référence.
Est touchant, heureusement !
Mais n’est ni émouvant – encore moins bouleversant ainsi que nous le promet d’éditeur – ni prenant, et c’est bien regrettable.
Peut-être est-ce dû à une narration confuse dans ses débuts, une histoire hésitante/mal définie – on peine à comprendre l’angle narratif, qui s’éparpille beaucoup trop pour nous solliciter, et nous captiver, de manière égale au fil des pages, et une « révélation » devinée dès le début qui n’a probablement rien eu d’exceptionnel non plus dans ce contexte historique-là. Le Choix de Sophie (William Styron) nous en avait offert une bien plus saisissante avec cette mère juive moralement écartelée qui devait décider, une fois arrivée au camp, qui de ses enfants mourait et qui serait sauvé !
Le reproche qui lui a été fait dans les critiques était qu’elle ne tenait pas là matériau littéraire et qu’il ne suffisait pas de bons sentiments pour faire un bon livre…
Moi je dirai qu’elle a au moins le mérite de faire exister pendant quelques pages une petite Salomé tragiquement disparue.
Qu’elle l’a fait avec discrétion et retenue au fil de ses propres « fouilles » familiales, et que si c’est un parti pris discutable, au moins ce récit est venu s’ajouter à tant d’autres, et il n’y en aura jamais assez pour témoigner de l’horreur de cette noire période de l’Histoire.
Elle a enfin accompli son devoir de mémoire à elle, à sa façon, et c’est d’ores et déjà non pas admirable mais au moins louable, nous éclairant par ailleurs sur un pan historique de la Shoah (le sort des juifs en Lituanie) dont on sait peu de chose en France, les néophytes en tout cas.
Surtout, elle a fait émerger un constat terrible, qui revient de manière incantatoire : être juif, c’est avoir peur (aujourd’hui comme hier et comme toujours, apparemment). Et que ce simple constat fait déjà beaucoup réfléchir ceux qui s’en donneront la peine.
A part cela, oui, Colombe Schneck est sans doute davantage journaliste qu’écrivain, son style est trop timide, sa structure narrative laisse à désirer, le récit manque d’ampleur et de panache, il y aurait eu moyen, autrement, de rendre ce récit nettement plus bouleversant, vraiment bouleversant, et d’en faire Un Choix de Sophie bis – si tant est que cela présente un quelconque intérêt puisque cet excellent livre existe déjà, que les comparaisons sont mortifères et que l’enchère aux douleurs serait du plus mauvais goût dans un cas comme celui-ci.
Mais reconnaissons-lui au moins, en plus des qualités citées supra, un vrai travail d’enquêtrice familiale, avec voyages aux E.U. et en Israël en quête d’informations et d’une « vérité », d’archéologue familiale, même, qui n’hésite pas à mettre au jour un douloureux secret, doublé d’une archiviste scrupuleuse qui produira aussi divers courriers qu’elle n’aura pas hésité à faire traduire.
Tout cela correspond, j’en sais quelque chose, à une somme de travail considérable dans des conditions émotionnelles difficiles, j’en sais quelque chose aussi, et se doit d’être salué ; tout comme son courage à oser braver les non-dits.
Alors, que sa plume n’ait pas été tout à fait à la hauteur de son ambition, c’est certes dommage, mais qu’importe.
Elle ne nous laisse pas un grand roman mais bien un livre-témoin dont la valeur historique, familiale et émotionnelle est précieuse, indéniablement.
Vu sous cet angle, La Réparation est tout sauf un livre inutile comme il y en a tellement, assurément.
Et qui a au moins le mérite, pour nous, de nous montrer toutes les erreurs qu’il vaut mieux ne pas commettre si l’on souhaite rédiger un récit historique maîtrisé, et donc réussi !
Certaines n’avaient jamais vu la mer (Phébus) de Julie Otsuka. Last but not least!
Il s’agit là du seul témoignage historique qui ait trouvé grâce à mes yeux, et qui a d’ailleurs été salué par le Prix Femina étranger, amplement mérité : la langue en est simple, délicate et ciselée (en anglais en tout cas), mais quelle puissance narrative et quel angle narratif intéressant mis au service d’un triste pan (méconnu) de l’histoire nippo-américaine !
Nous sommes en 1919. Un bateau quitte l’Empire du Levant avec à son bord plusieurs dizaines de jeunes femmes promises à des Japonais travaillant aux États-Unis, toutes mariées par procuration.
C’est après une éprouvante traversée de l’Océan pacifique qu’elles rencontrent pour la première fois à San Francisco leurs futurs maris. Celui pour lequel elles ont tout abandonné. Celui auquel elles ont tant rêvé. Celui qui va tant les décevoir.
À la façon d’un choeur antique, leurs voix se lèvent et racontent leurs misérables vies d’exilées… leurs nuits de noces, souvent brutales, leurs rudes journées de travail dans les champs, leurs combats pour apprivoiser une langue inconnue, la naissance de leurs enfants, l’humiliation des Blancs… Une véritable clameur jusqu’au silence de la guerre et la détention dans les camps d’internement – l’État considère tout Japonais vivant en Amérique comme traître. Bientôt, l’oubli emporte tout, comme si elles, leurs époux et leurs progénitures n’avaient jamais existé.
Dans ce récit historique extrêmement bien documenté – cela se sent, tout simplement – le trait de génie de l’auteur a été d’utiliser un nous générique qui fait alterner à tour de rôle le vécu, et surtout le ressenti, unique de chacune de ces femmes, offrant par là une efficacité narrative originale, magistrale, et donc forcément prenante. On est happé par ce récit, horrifié par ce que ces femmes ont enduré, ému par leur sort terrible (pour la plupart), et infiniment attristé par leur fin tragique.
Où il apparaît donc qu’en réfléchissant un tant soit peu sur l’angle narratif (et il faut en trouver un adapté à son sujet bien sûr) et en choisissant un sujet historique méconnu (donc forcément plus porteur car original), l’on peut créer des merveilles en récit/roman historique, tout comme en fiction pure et dure.
Quand un livre est réussi, il y a finalement bien moins à dire, si ce n’est qu’il est réussi, que c’est un pur enchantement, et que l’on se sent autorisée à le recommander les yeux fermés !
Ce livre – que j’ai lu en anglais, j’espère que sa traduction française ne vous décevra pas… – est mon coup de cœur de la rentrée (avec Féerie générale qui vient de remporter le Médicis 2012, j’ai donc bon goût, puisque j’ai celui de tout le monde :-)) et je ne peux que vous le recommander très très chaleureusement ! Vous y apprendrez beaucoup en tant qu’auteur, et serez sûrement transporté en tant que lecteur, de tout coeur je vous le souhaite en tout cas ! Attention, pas de politique satisfait ou remboursé sur ce blog ! 😉
Ce que tu exprimes là est infiniment juste ! Je regrette de ne pas avoir su le formuler aussi clairement ! C’est précisément une partie du problème que je tentais d’exprimer, et que toi tu as superbement, et plus globalement, synthétisé, merci ! 🙂
C’est toujours délicat d’écrire un vrai roman historique. La difficulté est d’être un vrai historien en même temps qu’un véritable auteur. Sophie’s Choice est à ce titre formidable car comment nommer l’innommable dans un roman historique sans manier parfaitement le langage?
Soit on est trop historien au risque de transformer le roman en documentaire, soit on est trop écrivain au risque de perdre le fil de l’histoire et de l’Histoire.