Je pense donc j’écris
Je tente, au fil des newsletters, de vous informer des difficultés nombreuses, et bien réelles, que vous ne manquerez pas de rencontrer lors de la tentative de publication de vos
travaux d’auteur. Désolée si ce n’est pas particulièrement encourageant, en tout cas c’est le reflet d’une réalité que chacun gagnerait à comprendre, et à intégrer. Vingt années à divers postes dans le milieu de l’édition, dont celui d’auteur, me permettent de l’affirmer haut et fort : ce n’est pas une sinécure ! 😉
La dernière fois je vous entretenais de l’autobiographie et de l’autofiction, un créneau possible bien que passablement saturé ces temps-ci, et pas toujours par les meilleurs livres… Je vous l’accorde, c’est frustrant : comment autant de mauvais livres sont-ils encore publiés alors que quelques bons restent régulièrement en rade et finissent par nourrir l’autoédition contre laquelle je ne me lasserai jamais de vous mettre en garde ? Le débat sera lancé sous peu… 😉
En attendant, j’aimerais vous parler aujourd’hui du récit/roman historique qui, plus marginal que le roman tout court, pourrait être susceptible (le conditionnel et les précautions d’usage s’imposent !) de vous ouvrir davantage de portes. En tout cas le créneau est passablement moins saturé.
Et si je me propose de le faire c’est parce que je suis concernée à deux titres : en tant que traductrice d’un roman historique à succès (http://www.guardian.co.uk/books/2012/sep/14/merivel-rose-tremain-review) et en tant que rédactrice d’un (re)travail et récit historique sur la Shoah (http://www.new.soonckindt.com/la-tombe-de-votre-pere-est-dans-le-ciel-un-nouveau-travail/).
Joies et grandeurs du roman historique
Le premier travail m’a permis de découvrir un domaine auquel je connaissais bien peu de choses et qui ne m’intéressait guère : le roman historique qui, si j’en crois les chiffres des ventes et les prix décrochés par l’auteur (http://literature.britishcouncil.org/rose-tremain) est un créneau porteur pour peu que l’on sache le maîtriser à la perfection (c’est toujours le même problème).
Si j’en juge par les pages que je traduis chaque jour (http://www.new.soonckindt.com/news-traducteurs/une-traduction-hors-du-temps-la-suite/), cela demande au minimum un solide goût pour les recherches – exercice pour le moins fastidieux, je parle d’expérience – et ensuite un talent pour coller à la réalité d’une époque (http://www.new.soonckindt.com/uncategorized/merivel-un-homme-du-xviie-extraits-traduction-pour-lattes-en-avant-premiere/).
En bref, c’est un travail considérable, qui ne peut s’entreprendre que si l’on est excessivement motivé par ce genre d’entreprise et passionné par l’époque, et le sujet, dont on va parler et par lequel l’on sera habité des mois, voire des années, durant.
Joies et labeur du récit historique
Ce qui m’amène en douceur au second sujet dont j’aimerais vous entretenir : le récit historique, ou le récit historique romancé, comme vous voudrez.
J’étais infiniment passionnée par la période que j’avais traitée dans une première mouture de ce récit (http://www.new.soonckindt.com/la-tombe-de-mon-pere-est-dans-le-ciel/) et,
une bonne année plus tard, j’en ressors en ne souhaitant plus jamais poser les yeux sur un document d’époque, et tout juste intéressée par un film ou un livre sur le sujet, moi qui les ai dévorés des années durant ! Cela s’appelle la saturation, et c’est peut-être passager. J’ai, cela étant dit, éprouvé exactement la même sensation quand j’ai décidé de transformer une autre passion (la cuisine) en métier (traiteur à domicile, lorsque j’habitais en Angleterre)…
Pourquoi cette réaction ?
Parce que le travail à entreprendre s’est révélé bien plus difficile qu’anticipé, comme souvent.
Ecrire est très difficile, et chronophage, et frustrant, on ne vous le répètera jamais assez ! Ecrire c’est réfléchir, beaucoup, et c’est aussi réécrire, encore et encore.
Donc j’avais un texte de départ (premier obstacle), publié en revue, et que j’ai pensé à adapter pour une nouvelle collection chez Laffont (Les Affranchis), ayant déjà compris, entre autre en tant qu’auteur jeunesse, qu’il était plus facile de faire publier un texte taillé sur mesure pour une collection déterminée – retenez bien cette évidence, elle vous fera gagner un temps précieux !
Bonne idée, à ceci près : j’ai découvert par la suite que cette collection – qui consiste pour l’auteur à rédiger une lettre, vraie ou plus souvent fictive, l’affranchissant de tout un précédent non-dit – n’accueillait que… des commandes ! Comme j’avais déjà entamé mon travail, j’ai poursuivi, forte du fait que j’avais déjà traduit pour cet éditeur et que cela m’ouvrirait peut-être une petite porte.
Là n’était d’ores et déjà pas mon principal souci.
Mon principal souci a été que je me suis retrouvée contrainte par ma première mouture (l’article publié) plutôt que guidée ainsi que je l’avais espéré, tout comme j’espérais que ce simple « retravail » serait l’affaire d’un mois et quelque…
Hélas, hélas, hélas, cela fait maintenant plus d’une année que j’y suis attelée ! Et aussi passionnée que j’aie été par cette période, j’avoue que je commence maintenant à méchamment saturer !
Ecrire c’est réécrire…
Parce qu’après des mois de travail, j’ai dû constater que mon style était plat, banal, donc inintéressant, si l’on part du principe que tout ou presque a déjà été dit sur la Shoah et que la différence se fera dans le style, ou dans l’angle d’approche. Je collais trop au style historico-journalistique de mon article, en fait ; or ce qui était acceptable pour un article ne l’était pas pour un roman, ni même un récit romancé. Le problème est que la force de l’Histoire, le poids des recherches, vous enferme plus ou moins dans ce style-là, y compris contre votre gré, pour peu que l’on ne soit pas vigilant et que l’on se laisse enfermer !
Après des mois de travail, j’ai dû aussi constater que mon angle narratif n’était pas le bon : j’étais restée concentrée sur mon héroïne, Isabelle Kahn, la vieille dame qui m’avait raconté son histoire, et je faisais méchamment fausse route. Parce que le héros était ailleurs et c’était son père, enfermé dans six camps différents (dont Buchenwald et Gurs) et finalement gazé dans le septième (Majdanek), offrant par là et bien contre son gré, une trame narrative événementielle et dramaturgique bien plus puissante, ce que j’ai hélas mis des mois à saisir !
Résultat de ces réflexions : j’ai dû déstructurer tout le récit pour le reconstruire « à côté », autrement, et ce ne fut pas une mince affaire.
Une fois ce problème de narration réglé, il a néanmoins fallu nourrir ce nouvel angle de nouvelles recherches historiques qui m’ont vue surfer des heures sur le net, correspondre avec le Mémorial de la Shoah et d’autres organismes en Allemagne ou à Washington (et vive la maîtrise des langues étrangères !), sans parler des demandes d’autorisation pour l’utilisation (très surveillée) de telle ou telle information ! Et je ne vous parlerai pas de la visite (bienheureusement virtuelle) de la chambre à gaz à Majdanek, ni de l’épluchage détaillé des 1003 noms et âges des déportés du convoi 51, un vrai tournis !
Il en résulte un travail très différent, plutôt bien documenté, je pense, narrativement plus « palpitant » – bien que le résultat final soit hélas connu d’avance -, mais stylistiquement encore et toujours lacunaire, ce qui est ironique car le style est normalement mon forte… ; comme quoi, l’on se surprend un peu plus à chaque texte différent que l’on entreprend.
Prochaine étape – entre deux pages de traduction et autres multiples occupations : retravailler le style pour chaque chapitre afin de lui en imprimer un propre, puis mélanger les chapitres pour relire et réécrire dans le désordre et s’assurer ainsi que chacun a son empreinte et sa force propres, sans l’influence de celui qui suit ou qui précède !
Pourquoi je vous parle de ce travail in fine ?
Pas pour me plaindre sur mon sort, que nenni. Je l’ai choisi, même si ce n’était pas en pleine connaissance de cause…
Simplement pour vous dire qu’un travail littéraire (j’insiste sur ce terme) se révèle souvent plus éprouvant que ce que l’on avait prévu au départ (le texte peut se rebeller ! ;-)), que les fausses bonnes idées abondent et sont nos pires pièges, qu’il ne faut jamais s’en tenir à sa première idée, justement (elle est rarement bonne), que surtout il ne faut pas être trop vite satisfait de soi et/ou de son travail, qu’il faut savoir se relire avec distance comme si l’on n’était pas l’auteur du texte en question, et que réécrire est un must incontournable, tout comme l’est la relecture par un œil extérieur aussi objectif que possible…
Ceci est vrai pour tout travail littéraire. Mais ça l’est encore plus pour un travail historique !
Et maintenant, au travail si vous êtres toujours tenté ! Il n’aura pas été dit que vous n’avez pas été mis en garde ! Mais sachant qu’un auteur prévenu en vaut deux… N’oubliez pas de traiter uniquement une période qui vous passionne, et faites en sorte que ce soit plutôt le règne de Charles II et la restauration anglaise (comme dans le roman que je traduis) qu’une Shoah largement surtraitée et où les exemples didactico-emphatiques et résolument peu littéraires abondent, hélas, même chez des auteurs normalement bons, avec pour rares exceptions Charlotte Delbo et Véronique Bergen (je ne parle pas des témoignages de victimes, dont le style n’est certainement pas la vocation première, mais bien de « récits sur »).
A suivre la prochaine fois, trois recensions de livres historiques, justement !
D’ici là, vos commentaires m’intéressent… 🙂
Oh là là, j’aimerais bien pouvoir t’être agréable, Hélène, mais sans passion particulière pour ce type d’écrit, cela reste d’être difficile… 🙁 Mais il n’est pas impossible que j’interviewe Rose Tremain à la sortie de Merivel en français. A suivre, donc !
Le roman historique, un travail de longue haleine, certes, mais tellement passionnant. Serait-il possible de voir un article sur la passion des auteurs de romans historiques?