Il était une fois…
Il fut un temps où je me tenais fameusement au courant de qui sortait quoi au mois de septembre.
Il fut un temps où je m’y intéressais même dès le mois d’août, en achetant Les Inrocks, par exemple.
Puis Le Magazine littéraire, et Lire, et Le Matricule.
Il fut un temps où j’achetais Le Monde des livres chaque semaine de ladite rentrée et pendant tout le temps qu’il fallait.
Il fut un temps, j’en avais les moyens alors, où je me faisais un devoir de lire nombre des parutions qui y étaient recommandées.
Et il fut un temps où je me faisais un devoir, voire même un plaisir, de les recenser.
Oui mais ça c’était avant
Ce temps n’est plus.
Et aussi avide de livres que je sois toujours, je ne suis pas forcément malheureuse d’avoir changé de cap.
L’envie m’a passé, tout simplement, les rouages ont été démontés, mes heures sont moins nombreuses, donc précieuses, aller à l’essentiel est devenu une priorité.
Bref, j’ai vieilli.
Donc aujourd’hui j’en recenserai trois, et basta.
Il m’a fallu du temps pour comprendre, je suis lente il est vrai.
Que tout ce déballage de phrases élogieuses, et pour le moins contagieuses, de la part de la presse spécialisée n’était jamais, bien souvent, qu’un écho à une vaste opération marketing destinée à faire vendre, ni plus ni moins, ce qui est humain, certes, mais à ces séduisantes sirènes il faut apprendre à résister.
Je pleurais dans l’un de mes précédents articles la disparition de l’écrivain au profit de l’auteur, et de la littérature au profit du livre, aujourd’hui je ne pleure plus, je constate.
Que les livres de la rentrée ne sont ni pires ni meilleurs que ceux des autres moments de l’année, ils auraient juste une tendance à émaner d’auteurs médiatisables, donc vendables. L’éternelle Nothomb y sévit régulièrement, suivie, cette année de Frédéric Beigbeder, d’Olivier Adam, d’Emmanuel Carrère, de Thomas Pynchon, de Murakami, de Grégoire Delacourt et j’en passe.
J’ai passé mon tour aussi.
D’ailleurs, quand j’ai lu le Lire de cet été, la seule publication littéraire que mes moyens, et le manque de temps, me permettent encore, je n’y ai rien trouvé – y compris dans les extraits qui constituent pourtant ce que la “littérature” a de mieux à offrir – rien qui me donne envie d’acheter le moindre livre, j’en ai été moi-même soufflée. Pas la moindre histoire qui me titille, ou si peu, et surtout, pas la moindre écriture qui me fasse dire “Là il y a quelqu’un”, ou “Là il se passe quelque chose”, mais il est vrai aussi que je suis devenue fort exigeante. Pensez donc, aimer la littérature plutôt que les livres, et les écrivains plutôt que les auteurs, quelle drôle d’idée ! Je n’y trouvais donc rien, à part, et j’en fus la première étonnée, David Foenkinos pour Charlotte, où non seulement la thématique shoesque avait tout pour me plaire, mais où l’écriture (une phrase par ligne) délicate et élégante avait tout pour me faire dire “Tiens, là on dirait bien qu’il se passe quelque chose”…
Foenkinos, naissance d’un écrivain
Et je n’ai pas été déçue.
Moi qui n’ai jamais pensé grand chose de Foenkinos, dont j’ai lu l’un ou l’autre livre sans émotion ni souvenir notable, juste pour voir, là j’ai été impressionnée ! Par le choix d’un sujet – la vie et le destin tragique de Charlotte Salomon, peintre juive qui n’a finalement pas échappé à la destinée familiale – qui lui tenait à coeur depuis une dizaine d’années et ça se sent ; par le fardeau dramaturgique porté par son héroïne, issue d’une lignée maudite où l’on se suicidait littéralement de mère en fille ; et surtout par la manière fine et délicate, y compris dans les interventions de sa propre personne devenue personnage, qu’il avait de traiter ce douloureux sujet, à coup de phrases courtes d’une ligne chacune, avec parfois des fulgurances littéraires allant droit au coeur, à l’âme, et vous mettant presque au bord des larmes.
Le “presque” tendrait à signaler qu’à mon sens il aurait pu aller plus loin encore dans l’émotion, mais peut-être alors aurait-il perdu cette retenue, précieuse, et cette rare “délicatesse” qui n’allait plus être seulement le titre d’un de ses précédents romans, mais qui serait peut-être appelée à devenir sa marque de fabrique s’il continuait dans cette belle lignée ? Loin des livres où il était juste auteur, certes à succès, mais pas écrivain. De ceux où il n’avait pas d’univers digne de ce nom, ni de voix digne de ce nom, ni d’écriture digne de ce nom non plus, rejoignant en cela la majorité de ses contemporains et qu’y faire, c’est ce qui est à la mode de nos jours n’est-ce pas. Je suis ravie de cette transformation pour le moins étonnante – ainsi, c’est peut-être le sujet qui ferait l’écrivain, in fine – et j’avoue attendre son prochain opus avec une belle curiosité, et peut-être même que je l’achèterai, d’ailleurs. Acheter du Foenkinos, moi ? Voilà une phrase faite pour m’étonner, mais seuls les imbéciles ne changent pas d’avis. Il suffit juste qu’on leur offre une occasion qui en vaille la peine.
Hélas l’émotion n’est pas toujours au rendez-vous…
Aussi n’exprimerai-je pas le même enthousiasme pour Eric Reinhardt et L’Amour et les forêts, qui s’offrait deux pleines pages dans Lire, contrairement à Foenkinos qui, bizarrement et alors que son livre est un petit bijou, ne bénéficiait que de quelques paragraphes…
Me disant bêtement qu’un tel étalage devait signaler un grand livre, ou en tout cas un bon livre, je décidais de découvrir cet auteur dont je ne connaissais rien, pour le coup. Le court extrait ne m’inspirait pas grand chose côté style, et effectivement…. C’est là que je me permettrai de souligner le danger qu’il y a à prendre un article pour argent comptant, et l’innocence que cela représente pour un lecteur aguerri, je m’en veux encore. Les critères de l’un ne sont, de toute évidence, pas ceux de l’autre, ce qui est normal, et hormis les journalistes dont les goûts rejoignent les vôtres à coup sûr, il vous est vivement conseillé de ne faire confiance à personne !
Oui, ce livre est honnête, attention, j’en ai tourné les pages avec intérêt, attention, le portrait psychologique est intéressant, attention, mais aucune commune mesure entre l’enthousiasme du journaliste et l’intérêt réel de cet énième roman psychologique sur le thème passablement rebattu du malheur conjugal.
Déception, donc, surtout celle de n’y trouver, une triste fois de plus, strictement aucune écriture, aucun style particulier, aucune âme digne de ce nom. Electroencéphalogramme désespéremment plat, à la rentrée prochaine l’on ne m’y reprendra pas ! Et cela ne m’a donné strictement aucune envie de découvrir les précédents ouvrages de l’auteur fallacieusement encensé. Mais la tolérance n’est pas vraiment mon fort, vous l’aurez constaté…
Les livres se suivent et ne se ressemblent pas
Je dirai la même chose d’Olivia Rosenthal parce que ses précédents ouvrages sont supposés être dans une veine que je ne goûte pas tellement en littérature, celle de l’humour noir, mais quelle belle belle découverte que cet auteur-là, que je ne connaissais pas davantage ! Mécanismes de survie en milieu hostile est un grand livre, assurément, un avis qui n’engage que moi mais que j’espère contagieux. Parce qu’il y a là une histoire aussi mystérieuse qu’originale, ce qui n’est d’ores et déjà pas si courant, une voix, un style, fait de petites phrases brèves, hachurées, syncopées, dont certaines fulgurantes comme dans le Foenkinos, pour un roman que j’ai lu d’une traite malgré ses 184 pages, et que je serais prête à relire encore demain si je me laissais aller, et après-demain encore !
Là, pour le coup, la critique de Lire qui donnait envie n’était pas fallacieuse, à mon sens en tout cas, et je retiendrai le nom de la journaliste. On ne sait pas vraiment, qui sont les poursuivants de l’héroïne, s’agit-il d’un rêve, d’un jeu d’enfants, d’une métaphore, d’une véritable poursuite ou d’une catastrophe genre fin du monde comme dans La Route ? L’on sait par contre – aucun détail concret de nous est épargné, de la NDE au travail du médecin légiste en passant par celui des insectes nécrophiles – que l’on est dans un livre sur la mort, sur la perte, sur le néant, sur le rien, et sur le questionnement de soi et de l’identité, de manière plus large. Que cela prête à réflexion, et à rêverie aussi. Que cela prête surtout à relecture, ne serait-ce que pour enfin comprendre de quoi il s’agit vraiment, au désir furieux de replonger à nouveau corps et âme, tripes aussi, dans ce livre singulier, violent, onirique et pesant, d’une originalité folle, enfin, et qui me fait dire que lors de la rentrée littéraire, parfois, ceci contredisant cela, il se passe “des choses” dignes de ce nom. Qui auraient pu se passer à n’importe quel autre moment de l’année, cela étant.
L’automne ne fait que commencer…
Il faudrait arrêter de se focaliser sur ce phénomène médiatique et marketing savamment orchestré pour faire saliver et faire vendre, voire se rebeller ! La rentrée littéraire n’est pas davantage gage de qualité ou d’intérêt que l’attribution d’un prix littéraire – et je parle en connaissance de cause, j’en ai reçu deux, dont le premier largement immérité -, ou que la proclamation d’un best-seller (là aussi je parle en connaissance de cause pour en avoir traduit cinq). Il peut sortir de bons livres à cette occasion, bien sûr, mais il convient de se méfier de l’enthousiasme ambiant qui voudrait nous faire croire à tel écrivain génial, et à tel autre, et à tel autre encore, à une vague géniale qui couronnerait la totalité de ladite rentrée qui, in fine, n’est jamais adoubée que par elle-même. Disons le clairement : depuis la mort de Duras, je n’ai vu apparaître aucun écrivain génial sur la scène littéraire française, donc qu’on arrête de tenter de nous faire prendre – ce de manière systématique, rentrée littéraire ou pas, d’ailleurs – des vessies pour des lanternes !
Pour déguster la rentrée littéraire il conviendra donc d’ores et déjà de se limiter à peu de livres, soigneusement sélectionnés. Ainsi, je ne suis pas sûre de lire le nouveau Murakami tellement j’ai été déçue par son dernier tryptique. Et je ferai l’impasse sur le Emmanuel Carrère en dépit du respect que j’ai pour l’auteur de La Moustache et de L’Adversaire et de tout le bien que l’on dit de son Royaume, qui malgré tout ne m’intéresse tout bonnement pas. Idem pour le Pynchon (et pourtant je suis angliciste) malgré tout le génie qu’on lui prête.
Après tout, il n’y a jamais que vingt-quatre heures dans une journée, et dormir est une activité intéressante, et nécessaire, aussi.
Peut-être est-ce alors le moment de fuir les feux de la rampe et de s’intéresser aux sorties plus discrètes, moins médiatiques, qui feront leur apparition en octobre ou novembre ? Ou aux livres de grands auteurs que l’on ne pouvait s’offrir en broché et qui sortent tout à coup en poche ? A moins que ce ne soit le moment de relire de bons livres, grands ou petits, que l’on a beaucoup aimés ? Ainsi me suis-je concocté une pile spéciale “relectures” contenant ces romans japonais si délicats que j’affectionne, quelques vieux Murakami, ou encore la superbe trilogie de l’Islandais Stefansson.
Car il y a une vie littéraire, en dehors de la rentrée littéraire !
Surtout si l’on attend qu’elle soit passée…
Mais attention, prudence, elle revient en janvier ! 😉