Le comptoir éditorial éléments de langage va sortir sous peu un livre résolument contemporain qui a tout d’un ovni mais qui sera publié dans leur collection « olni » (objets littéraires non identifiés)…
Petit tour du propriétaire en 13 questions et rencontre avec son auteur, Jean-Philippe Convert, plasticien dont c’est le premier ouvrage, ou le dernier, on ne sait plus très bien…
C’est bien plus tard, quand après avoir lu par exemple un livre de Perec on se dit : Et pourquoi pas moi ? Pourquoi un jour ne pas écrire ?
1-Jean-Philippe, quand et pourquoi as-tu commencé à créer ? Quand et pourquoi as-tu commencé à écrire ?
Il est très difficile de répondre à ces questions parce que la première fois que l’on ‘créée’ ou ‘écrit’, on ne le sait pas. C’est après, quand on se penche à nouveau dessus, que l’on se dit : Tiens, là, il y a quelque chose.
Par exemple, il y a quelques années, je suis retourné dans la maison de ma grand-mère qui est décédée depuis longtemps. Par hasard, en ouvrant un tiroir, je suis tombé sur une lettre que je lui avais envoyée d’Angleterre, un été, comme j’étais là-bas pour une quinzaine dans une famille d’accueil afin, paraît-il, de perfectionner mon anglais. Je devais avoir onze-douze ans. Dans cette lettre, je lui racontais que les gens chez qui je vivais passaient leur temps à regarder la télévision. C’était très ennuyeux.
Ce qui m’avait frappé en relisant cette lettre, c’est que j’avais l’impression d’être un autre. Je devais avoir trente ans quand j’ai retrouvé cette lettre. Et l’adulte que j’étais à trente ans a trouvé que l’enfant qu’il était à onze ans était un autre que lui, mais en tous les cas pas un étranger car cette lettre, l’enfant que j’étais avait essayé de l’écrire en ‘faisant’ des phrases, en essayant de ‘faire’ autre chose que de répondre à la corvée qu’imposent les parents à leurs enfants : écrire une lettre aux membres de la famille quand on est en vacances.
Je me souviens notamment d’une phrase dans cette lettre. L’enfant que j’étais parlait des gens qui regardaient la télévision et j’avais écrit : « Ces gens dorment ». Ca m’avait frappé, cette phrase, parce que je me suis dit : ça, c’est une phrase d’écrivain, au sens où il y a une image : des gens devant un écran, ce ne sont pas des téléspectateurs mais des dormeurs. Ensuite, dans le sommeil on peut rêver, cauchemarder, érotiser… Il y a une fiction possible. En même temps, il y a cette idée que la vie ne se suffit pas à elle-même, que des gens devant un écran sont des gens que l’on peut imaginer autrement qu’en train de regarder un écran parce que sinon, si on réduit la réalité à ce qu’elle est, des boeufs captivés par la farine qu’on leur sert à la télé, on tombe dans le réel, c’est-à-dire l’enfer ou l’ennui ou l’identité du corps à ce qu’il fait : l’immobilité.
Après, cette phrase : « Ces gens dorment », ça veut dire aussi que l’enfant que j’étais n’adhérait pas complètement à son environnement social, qu’il était à la fois acteur et observateur. C’est bien plus tard, quand après avoir lu par exemple un livre de Perec on se dit : Et pourquoi pas moi ? Pourquoi un jour ne pas écrire ? que les choses commencent, qu’il faut commencer à écrire, c’est-à-dire à payer pour que cette prétention à écrire ne devienne pas le fait d’un prétentieux.
2-Le Livre des employés est très neuf dans son concept comme dans sa « mise en mots », peux-tu nous en dire un peu plus là-dessus et nous en résumer l’idée maîtresse ?
L’idée maîtresse, elle est très simple et très bête. Il s’agissait de faire un livre qui ne ressemble à aucun autre. Il fallait donc éviter toutes les formes littéraires existantes. La seule solution était donc de toujours changer. Quand ce que j’écrivais me paraissait être un peu précieux, j’écrivais quelque chose de trivial. De même, après une blague, un passage sinistre, après une réflexion apparemment intelligente, une phrase absurde ou débile. C’est la stratégie du pas de côté, ou des oppositions, avec le pari qu’au bout du compte quelque chose de viable sorte, que de cette démarche un peu incohérente émerge un texte lisible.
3-Peux-tu nous en décrire les diverses étapes, depuis son idée jusqu’à sa concrétisation ?
Il y a quelques années, j’ai trouvé un travail dans une administration. Le boulot consistait à m’occuper d’une revue qui s’occupait de l’actualité sociale et économique en Belgique. Très rapidement, je me suis aperçu que cette revue donnait la parole à des économistes dont une grande partie des activités était subventionnée par les organisations publiques ou privées qu’ils étaient censés conseiller ou critiquer. D’une certaine manière, il s’agissait donc pour ces économistes de raconter ce que les décideurs avaient envie de lire afin de donner une légitimité académique aux initiatives de ces derniers. Je n’avais donc aucune marge de manœuvre, sinon faire de la mise en page et corriger des tournures de phrases.
J’avais donc beaucoup de temps libre et, comme j’étais le plus souvent seul dans mon bureau, j’en ai profité pour lire à peu près tout ce qui me passait sous les yeux. En gros, cela allait du rapport annuel de la Banque nationale de Belgique jusqu’aux Provinciales de Pascal. Pour me donner une contenance, je passais mon temps à noter sur des carnets mes impressions de lecture. Après quelque temps, j’ai quand même fini par quitter ce travail. Je suis parti avec les carnets que j’ai rangés dans des cartons.
L’an dernier, j’ai déménagé, et en rangeant mes archives je suis tombé sur ces carnets. Je les ai relus. J’ai trouvé qu’il y avait là une matière. Il s’agissait de lui donner une forme littéraire, c’est-à-dire une temporalité. Je me suis alors souvenu d’un livre de Raymond Lulle, un philosophe catalan du XIII-XIVe, Le Livre de l’ami et de l’aimé, qui est une sorte de dialogue entre l’ami, la créature, et l’aimé, le créateur, composé en 365 fragments. J’ai décidé de reprendre cette idée d’un livre en autant de fragments qu’il y a de jours dans l’année, le temps d’une révolution terrestre. Mais là, je ne dialoguais pas avec le créateur mais avec des notes de lecture prises par un employé de bureau.
4–Comment définirais-tu l’art de la citation ? Quel usage en fais-tu dans Le Livre des employés ?
Une citation est un accident, c’est ce qui est extrait d’un temps de lecture. Vous lisez un livre, et soudainement une phrase vous arrête parce que cette phrase vous auriez pu l’écrire. Même si la phrase est énigmatique, il y a cette idée que parce qu’elle vous a retenu dans votre temps de lecture il s’agit donc d’un accident de lecture, cette phrase s’offre à vous, elle se donne à vous. A charge pour vous de se remémorer cette phrase, de se la réapproprier afin que de l’accident naisse sa réparation, c’est-à-dire du temps retrouvé. On écrit ce dont on se remémore. Il y a mille manières de se remémorer, la plus orthodoxe étant la citation pure, à la virgule près, la plus hétérodoxe étant la phrase dont on ne sait pas si elle a déjà été écrite par quelqu’un d’autre.
5-Dirais-tu que Le Livre des employés constitue un parcours de mémoire ? (ou un labyrinthe ?)
Oui. On pourrait aussi parler de toile d’araignée.
Je ne suis pas un type très inspiré, surtout par l’absolu
6-As-tu un passage préféré dans ton livre qui va sortir chez éléments de langage le 15 décembre 2012 ? Si oui, lequel ?
J’ai parlé de toile d’araignée. Il y a tout un passage sur des êtres volants, sur des mouches, des hommes qui entrent en lévitation, des aviateurs… C’est un passage qui est très évident pour moi parce que, lors de l’écriture de ce livre, j’avais l’impression d’être un homme volant au-dessus d’une ville et les habitants en bas étaient comme des fourmis dont j’essayais de deviner à quoi ils s'employaient.
7-Quelles sont, dans l’absolu, tes sources d’inspiration ?
Je ne suis pas un type très inspiré, surtout par l’absolu. Je suis plutôt un sceptique et disons que, si quelque chose m’inspire, mon premier réflexe est de fermer les écoutilles et
de me dire : attention, tu vas dire une connerie.
8–As-tu des modèles en termes d’écriture, pour ne pas te demander qui sont tes écrivains préférés ?
Mon écrivain préféré est celui que je suis en train de lire avec curiosité. En ce moment je lis 2666 de Roberto Bolaño.
En écrivant ce livre, je n’avais pas l’impression d’écrire mon premier mais mon dernier livre.
9-Tu es plasticien ; vois-tu l’écriture comme un complément à ces autres activités créatrices qui se nourrissent les unes les autres ? Ou bien elle en est totalement indépendante ?
L’activité de plasticien et celle d’auteur sont parallèles. Quand on travaille dans les deux domaines, cela permet d’avoir un double point de vue. De manière générale, je remarque que les milieux des arts plastiques et de la littérature s’ignorent tout en se jalousant. Chacun imagine que l’autre est plus intelligent que soi.
Il y a un livre qui permet de dépasser sur cette sorte d’opposition entre arts plastiques et littérature, c’est Espèce d’espaces, de Georges Perec.
10-Comment se passe une journée de créateur, pour toi ? En es-tu satisfait ?
La journée du créateur commence le matin. Il ouvre les yeux et, voyant que le soleil encore une fois s’est levé, se marre. Ensuite, il sort de son lit et, s’apercevant que le sol est toujours là, le créateur est plié en deux. Il allume la radio pour écouter les informations et, à chaque fois, ça ne rate pas, il éclate de rire. Et ainsi de suite jusqu’à la fin de la journée.
11-Ton parcours d’auteur d’un premier livre a-t-il été un parcours du combattant ?
En écrivant ce livre, je n’avais pas l’impression d’écrire mon premier mais mon dernier livre. Le livre que je suis en train d’écrire en ce moment, s’il va jusqu’au bout, sera un premier livre.
12-As-tu des projets, en écriture ou dans d’autres domaines ?
En ce moment j’écris une fiction. Ca se passe à Alger, juste avant l’indépendance de l’Algérie, et cela raconte l’histoire d’hommes et de femmes proches de l’O.A.S. dont certains sont des vampires.
13-« L’art est la preuve que la vie ne suffit pas »… Cette phrase de Pavese t’inspire quoi ?
Elle m’inspire la réponse que j’ai donnée aux deux premières questions.
Plus d’informations sur l’auteur et la sortie de son livre sur le site d’éléments de langage !
Je te le confirme, oui ! 🙂
superbe interview!
Je suis convaincue que tout est dans les mots qui expriment des images et des pensées. C’est bien finalement le but de l’écriture?