Nicolas de Mar-Vivo est polygraphe. Il est membre du Collectif des premières personnes du singulier. Il est l’auteur de Paroles dégelées, recueil paru chez éléments de langage en 2014. Il vit, lit, écrit à Bruxelles. On peut le suivre ici ou là.
C’est ainsi que Nicolas se présente sur la quatrième de son dernier opus, Le Jour où j’ai réussi ma vie, un petit bijou de satire sur le management moderne (mais pas que, car c’est avant tout un ouvrage littéraire, que diantre ! ). Pour vous faire une meilleure idée, voici le résumé qu’il en propose : « Un roman, bref et incisif, qui a pris la forme d’une fable postmoderne. Le discours de management en est le héros. On y suivra la mue d’un certain Renard, ancien contorsionniste licencié pour manque de flexibilité, qui va se reconvertir en coach de vie et devenir le Guide éclairé des foules en quête de mieux-être. L’histoire d’un succès contagieux ». Sans oublier le mot de la fin : « Considérez l’acquisition de cet OLNI comme un investissement ».
Ce Nicolas de Mar-Vivo à la plume si caustique, nous avions du coup bien envie de l’interviewer pour vous en faire découvrir encore davantage !
1- Nicolas, d’où vous est venue l’idée de ce livre, à la fois lucide, futuriste et déjanté ?
Ce livre vient de loin. Je m’intéresse depuis longtemps au langage en général et aux discours en particulier (je suis linguiste de formation… on ne se refait pas !), notamment à ceux qui nous entourent, nous bercent… et que nous avalons sans y prendre garde… et qui finissent par nous contaminer. La première idée de ce livre m’est venue en tentant de croiser un discours politique ultralibéral qui traitait de la nécessité de gagner en « flexibilité » (donc au sens figuré du terme) avec des descriptifs d’exercices de gymnastique (donc au sens propre du même terme de « flexibilité »). De cette friction est née une étincelle, un déclic, qui a généré la fiction… l’histoire de ce looser qui va se métamorphoser en modèle de réussite.
2- Vous vous y êtes attelé comment ?
J’ai dû suivre le parcours d’un individu, que j’ai appelé Renard. On le suit de manière linéaire. On le découvre au plus bas et on va vivre sa métamorphose. Renard, va changer de vie, trouver sa voie. Après un bilan d’incompétences complet, des professionnels vont tenter de dresser son profil pour favoriser sa réinsertion sociale et professionnelle. Des coaches vont le guider, l’aider à découvrir ses propres atouts, à se fixer des objectifs de vie et une stratégie pour les atteindre. Renard va faire plus que les surprendre…il va faire mieux ! Comme celui des fables, mon Renard est rusé… et son évolution réserve bien des surprises… que je ne vais pas dévoiler ici ! Je dirais simplement que pour décrire ce parcours, j’use essentiellement de l’ironie. Ce n’est pas pour rien qu’un « point d’ironie » figure sur la couverture du livre (le point d’interrogation à l’envers : c’est un point d’ironie !) ni qu’une citation de Flaubert décrivant son projet de dictionnaire des idées reçues figure en exergue ! (Le lecteur ne doit pas savoir « si on se fout de lui, oui ou non » : le mien non plus !)
3- Cela a été difficile à mettre en œuvre ?
Toute la difficulté est de rester sur le fil. Car, le charme et le problème de l’ironie, c’est qu’elle disparaît dès qu’on l’explique. Donc, pas d’explication, ici : du rythme.
4- Espérez-vous que cet opus vous vaudra le titre oh combien convoité d’écrivain visionnaire ?
Non. Je parle d’ici et maintenant. Renard, mon personnage, joue au visionnaire (à moins qu’il ne le soit vraiment…), comme tout bon manager ; mais moi, je ne le suis pas ! Je saisis cette idée de vision, l’analyse et la retourne, pour voir ce qu’il y a derrière. En lisant de la prose managériale, vous seriez étonnée des références multiples à une sorte de Guide suprême qui sait ce qui est bon pour le Groupe. Un bon Chief Executive Officer ou Managing Director est une sorte de Prophète. Ses « compétences » mises en avant relèvent souvent de l’irrationnel le plus flagrant.
5- L’idée de base est-elle de faire passer un « certain » message, ou votre idée est toute autre et il ne s’agit absolument pas d’un livre à clés, ni d’un livre prophétique ?
Je n’ai pas écrit un roman à thèse. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien à penser dans ce livre. Si la fable porte effectivement sur l’influence de l’idéologie managériale dans notre vie quotidienne et sur la recherche à tout prix de la performance, je laisse au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions. Je titille le lecteur, sa curiosité et son intelligence, pour qu’il s’interroge sur sa façon de vivre, de parler et de penser. Sans m’appesantir sur la morale. Avec, je l’espère, légèreté et allégresse.
6-Allez-vous poursuivre dans cette même veine, ou préférez-vous vous diversifier (et ainsi éviter d’être catalogué) ?
Je ne compte pas écrire une nouvelle fable sociale, si c’est votre question : je vais aller sur d’autres terrains. Cela dit, l’analyse du discours est une manie chez moi. Je n’arrête pas… Mais ce que j’en tirerai aura sans doute une autre forme et ça se fera sur un autre support que celui du livre.
7- On sent chez vous, dans cet opus-ci en tout cas, une certaine dimension houellebecquienne, je me trompe ?
Houellebecq est un écrivain que je lis toujours avec grand intérêt. Mais je dirais que ma démarche, dans ce livre, se situe à l’opposé de la sienne. Si, comme lui, j’essaie de traiter des dures réalités du monde postmoderne, je ne travaille pas du tout dans la veine réaliste. Je suis loin du roman social naturaliste et nihiliste dont Houellebecq est le fleuron. J’ai plutôt conçu Le jour où j’ai réussi ma vie comme une variation sur le conte philosophique.
8- D’ailleurs, quels sont vos modèles en écriture, et pour quelles raisons ?
Je n’ai pas de modèles. En revanche, j’ai quelques « phares » (comme dans le poème de Baudelaire), que je choisis de prendre pour guides. Pour ce livre-ci, c’était très clairement Voltaire, pour l’ironie, Diderot pour le rythme et Montesquieu pour le décalage. Trois écrivains contemporains majeurs !
9- Vous êtes aussi l’auteur d’un superbe recueil de poésie contemporaine, Paroles dégelées, que j’ai lu, et relu, avec bonheur. Le grand écart (tout littéraire) ne vous fait pas peur, dirait-on ?
Non. Je n’ai peur de rien ! Je laisse le lecteur faire une part importante du travail. Dans Paroles dégelées déjà, je jouais sur les pouvoirs de la lecture. Ce qui littéralement, dégèle les paroles, dans ce recueil, c’est le regard du lecteur. Dans Le Jour où j’ai réussi ma vie, le lecteur a aussi fort à faire, même si c’est dans un autre registre ! C’est à lui de jouer : au sens propre comme au figuré ! Tout prendre au pied de la lettre… ou pas. Je lui fais confiance !
10- Que vous apporte l’écriture ?
L’écriture est un sport de haut niveau, qui demande une condition physique hors du commun (dont la lecture forme l’entraînement de base) et qui permet de travailler endurance, mémoire et capacités d’orientation, ce qui est important pour trouver sa voie… et sa voix dans le domaine de la création.
11- Quel regard posez-vous sur la production littéraire actuelle ?
Un regard de chercheur. Il faut justement slalomer entre les produits bien marketés et savoir trouver les pépites (il y en a plein !) sous les montagnes de romans familiaux naturalistes, les embarras postromantiques et les scénarios de films.
12- Avez-vous eu des coups de cœur en cette rentrée littéraire 2016 ?
Double nationalité de Nina Yargekov (P.O.L).
13- Pour vous, la littérature, c’est quoi, et ça sert à quoi ?
La littérature est un art. Comme disait Maurice Blanchot, ça sert à « mettre le langage en réflexion », au sens d’éclat esthétique et de pensée. C’est du boulot !
14-A-t-elle toujours sa place d’honneur dans le monde tel qu’il se vit aujourd’hui ?
En matière d’honneur, la « littérature » ne mérite souvent que le bras. Tant qu’elle sera réduite à un segment du marché du livre, à une sous-catégorie de produits culturels visant à divertir les masses et à donner des idées à des scénaristes en manque d’inspiration elle ne méritera pas mieux. En attendant, rien ne sert de se lamenter et de rêvasser à la gloire perdue du Grantécrivain : il faut inventer du nouveau ! C’est ce que certains essaient de faire, notamment une maison comme éléments de langage, avec sa collection OLNI (objets littéraires non identifiés).
15- Quel nouveau livre occupe vos pensées à présent, si tant est que vous vous soyez à nouveau lancé corps et âme dans l’écriture ?
Un livre qui questionne notre rapport à l’intimité et au temps. Ça s’appellera Le Chronologue. Je ne sais pas si on pourra appeler ça un roman…