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À une passante, écrivait Baudelaire. À une passante, à cent passantes, et à des passants, dix, mille ! pourrait rétorquer Jonathan Carrier qui s’adresse aussi aux autorités, aux trottoirs, aux quartiers de la capitale de l’Europe, ou encore directement à sa belle ville de Bruxelles (qui sont une seule et même entité), ville aujourd’hui en difficultés pour diverses raisons qu’il serait trop long d’énumérer ici.

Pour les saisir, le mieux est encore d’ouvrir les livres de Jonathan, deux « booklegs » publiés chez Maelström, L’immense jeu et L’immense jeu D’eux, où l’on retrouve d’ailleurs St Gilles…
Comme beaucoup de gens, j’ai découvert le premier bookleg de Jonathan grâce à la merveilleuse Laurence Veille, grande-poétesse-et-découvreuse-de-talents ; puis plus tard, lors d’une soirée anniversaire des Vingt ans de la collection booklegs aux éditions Maelström ReEvolutions à la Maison du livre de St Gilles, je l’ai croisé et j’ai eu l’idée de l’interviewer, histoire de découvrir ce qui se cachait derrière ses mots quand il nous dit :

J’ai souvent demandé, supplié, mangé, dormi sur tes pavés,
J’ai même été ivre sur tes carrelages…

1. Jonathan, où, quand et comment es-tu venu à la poésie ?

Au Syndicat des immenses, il y a quatre ans lors d’une rencontre d’avec M. Darah animant des ateliers d’écriture.

2. Qu’est-ce que la poésie te permet d’exprimer que d’autres modes d’expression ne te permettraient pas ?

J’ai pratiquement toujours été sans chez-moi, je criais beaucoup sur les trottoirs à cause de ma situation, surtout quand je buvais, pas toujours simple de vivre dans une société réservée aux élites.

3. Plus jeune, tu lisais ? beaucoup ? De la poésie ou autre chose ?

J’aimais beaucoup Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, Hansel et Gretel des frères Grimm, les bandes dessinées comme Tintin de Hergé, Astérix d’Uderzo et Goscinny, Le Génie des Alpages de F’murr et autres ; en livres, j’ai aimé Les Russkoffs et Bête et méchant de Cavanna, L’Alchimiste de Paulo Coelho, Journal d’un vieux dégueulasse de Charles Bukowski.
De mes vingt ans à mes trente et un ans, je n’ai rien lu !
J'étais beaucoup trop loin dans mes assuétudes.

Je regarde les gouttes tomber,
J’essaye de les compter

4. As-tu des auteurs de référence ?

Marie Darah pour sa poésie engagée, Jérémie Tholomé ; sinon je lis pas pour l’auteur mais pour l’histoire, j’ai mis des années à savoir que Le Dormeur du val avait été écrit par Rimbaud.

5. Il me semble que depuis peu tu n’étais plus SDF, mais ton dernier ouvrage me laisse penser le contraire ?

C’est fait exprès, je ne suis pas rassuré sur ma situation en logement, trois déménagements en sept ans, c’est de trop ! Ensuite, avoir vécu douze ans à la rue laisse des traces traumatisantes, j’ai en permanence peur de revivre la rue, les dernières mesures gouvernementales ne me rassurent pas vraiment!

Nous sommes les jardiniers de nos vies

6. Peut-on écrire en étant à la rue ? Tu écris dans des carnets ? sur ton portable ? ou encore ailleurs ?

Oui on peut Mais s’attendre à tout perdre en quelques secondes, j’ai perdu beaucoup de cahiers et de portables.

7. Avoir un chez soi, j’imagine que ça signifie beaucoup pour toi ?

Non !
Être propriétaire c'est être chez soi, je suis locataire et de surcroît, je déménage trop souvent !

Un lac réfléchit mieux les étoiles qu’une rivière

8. Est-ce que la poésie aide à mieux vivre ? Est-ce qu’elle t’aide, toi, en tout cas ?

Je sais pas, c’est difficile à dire, je suis fort partagé, mais le fait de témoigner nous aide, nous les Immenses, à être entendus.

9. Tu continues de déclamer, ou slamer, dans les rues, je crois. Comment y es-tu accueilli ?

Oui je continue, en général je suis bien accueilli, je déclame en rue sur demande.
Je préfère la scène, les gens sont plus attentifs.

10. As-tu un poète que tu préfères à tous les autres ? Pour quel livre ?

Non !
Mes poètes et poétesses préférés sont celleux que je rencontre dans ma vie de tous les jours, j’ai pas de préféré, j’aime pas ce concept de privilégier un humain à un autre !

Je t’aime plus haut que le soleil

11. Comment imagines-tu ta vie, dans les années qui viennent ?

Difficile à dire, avec ou sans logement ?
Ce qui est certain c'est que je veux encore écrire, je suis en train de faire des démarches pour animer des ateliers d’écriture pour les sans chez-soi, je devrais commencer à L’asbl l' Îlot, centre de jour à Saint Gilles, histoires à suivre…

12. Quelle bonne raison de lire, tes livres ou d’autres livres, aimerais-tu donner aux habitants de St Gilles, et d’ailleurs ?

Ma poésie est basée sur mon vécu, mes émotions, mes inquiétudes, mes espoirs, mes déboires, mais surtout pour témoigner, dire que nous sommes des humains, l'espoir qu’on arrête de voir les sans chez-soi comme des clochards alcooliques toxicomanes, plus de 80 % des sans chez-soi ont juste glissé dans leurs parcours de vie ; malheureusement, le système est fait de tant de difficultés que c’est très difficile de sortir de la spirale infernale de la vie en rue. . .
Sortir de la rue est une chose, le travail sur les traumas de la rue est plus difficile pour certaines personnes, moi en l'occurrence, psychologiquement je suis malade.
Ma poésie me permet de mettre des mots sur mes douleurs, me permet de me sentir moins seul, surtout depuis que je suis publié, merci à mes lectrices et lecteurs de prendre un peu de temps pour me lire, et merci pour la bienveillance que j’en reçois en retour, ça me fait sentir plus humain.
D'autres livres :
J’ai écrit un magnifique poème dans 56 descentes dans le MaelstrÖm paru dans la même édition en page 239 sous le titre « Cher MaelstrÖm ».
Depuis que tu n'as pas tiré de M. Darah, bookleg qui m'a fort inspiré à écrire mon premier recueil chez MaelstrÖm, éd. MaelstrÖm.
Sale Meuf de Zouz, bookleg fort inspirant et tellement vivant, âmes misogynes s’abstenir.
Pour les autres artistes, je vous invite à aller chez MaelstrÖm RéEvolution, chaussée de Wavre 364 à 1040 Etterbeek, seul et rare endroit où je me sens Chez moi.
Ou sur leur site.

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Merci pour ta collaboration autour de cette interview, Jonathan. En espérant qu’elle donnera à nos lecteurs l’envie de te découvrir, si ce n’est déjà fait !

Ce fut un plaisir, merci, Edith.

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