Mes traductions noires

Strip poker

de

Joyce Carol Oates

Une nouvelle que j'adore (très difficile à traduire) pour Rivages noirs in

La Main du mort, recueil collectif

Reproduit ici avec l'aimable autorisation des éditions Rivages, que je remercie.

Q uelle journée on a passée à Wolf’s Head Lake ! Et personne n’en a jamais rien su.

Dans ma famille, je veux dire. Pas même papa. Je ne lui ai rien raconté.

On était fin août, il faisait chaud et humide. Au-dessus du lac on voyait ces énormes cumulus dont le bourgeonnement se découpait dans le ciel comme une bouche qui se referme sur les montagnes, avec les zébrures des éclairs de chaleur qui apparaissaient et disparaissaient tellement vite qu’on ne pouvait pas être sûr de les avoir vraiment vus. Pour ceux de mon âge et à moins d’aimer pêcher - ce qui n’était pas mon cas – ou encore d’aimer « canoter » - mais nous ne possédions pas de bateau - il n’y avait pas grand chose à faire à part nager or le seul endroit praticable était à l’autre bout du lac, sur la plage publique bondée puisque notre rive était engorgée d’algues tellement gluantes et dégoûtantes que seuls les garçons s’y aventuraient. Ce jour-là on est à la plage pour nager, on tente de sauter depuis le plongeoir au bout de la jetée en béton, sauf qu’on n’est pas très doués alors on se contente de sauter depuis le petit plongeoir (trois mètres et quelques, pour nous c’est haut), pour voir qui peut grimper un maximum de fois à l’échelle tout dégoulinant d’eau, courir le long du plongeoir puis se boucher le nez, fermer les yeux et sauter, en vrai casse-cou, paniqué et excité à la fois, fendant l’eau et se propulsant vers le fond tandis que les longs cheveux en queue de cheval ondulent derrière et que des bulles sortent de vos lèvres hébétées, une expérience très proche de la mort, non ? Sauf que parfois vous faisiez un plat douloureux, comme un rappel à l’ordre émanant de la surface du lac qui semble pourtant lisse, avec pour résultat des marques rouges sur le dos, de l’eau trouble dans les narines et l’impression d’avoir la tête emplie de liquide tandis que mes oreilles bourdonnent que je suis toute étourdie et que j’ai le vertige alors je titube comme une alcoolique on rit tous à gorge déployée et on s’attire des regards désapprobateurs. Ma mère arrive sur ces entrefaites et me demande d’arrêter avant de me noyer ou de me blesser, faisant semblant de ne pas être en colère alors qu’elle l’est bel et bien, et esquissant avec ses mains ce geste – humiliant ! Je la déteste ! – pour me faire comprendre que je pourrais me blesser la poitrine, les seins, à sauter dans l’eau comme ça, comme si je me souciais de mes seins, ou de mon corps ; ou alors, si je m’en soucie, cet endroit - la plage publique de Wolf’s Head Lake par une après-midi d’août - n’est ni le lieu ni l’heure pour que maman me gronde. Je suis une grande fille élancée d’une quinzaine d’années avec des poignets et des chevilles aux attaches fines, des yeux sombres enfoncés et une bouche mince et ourlée qui ne me vaut que des ennuis, qu’il s’agisse de ce que je dis ou de ce que je marmonne de manière inaudible, mes cheveux blond cendré sont ramassés en une queue de cheval qui pendouille le long de mon dos osseux comme la queue d’un rat mouillé; hormis cette coiffure on pourrait me prendre pour un garçon et je prie Dieu pour que ça ne change pas, il n’y a rien de plus dégoûtant qu’une femme adulte en maillot, une femme opulente comme maman et ses copines que les hommes adultes regardent comme si elles étaient glamour ou sexy.

 

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J'ai aussi traduit deux autres nouvelles publiées dans les recueils suivants (chez Rivages) :

Un homme, un vrai, d'Oz Spies in Moisson noire

Eaux noires, de Patricia Pwell in Boston noir