Le rêve nuptial de l'esclavagiste chinois

à Kossi...

Tu m’as dit entaille-moi le corps du fil raide
de tes escarpins brûlants
et je l’ai fait
dans l’errance du rire et de la nuit, comme pour oser penser
qu’aimer
ne serait pas jouer,
ou dire que les vies seront fraîches
lorsque perlera la rosée
dans tous ces sourires, béants

Tu m’as dit
frotte !
ton sexe de pâle bouche
contre toutes mes lèvres ouvertes,
et je l’ai fait,
fait, oui,
parce que suspendue à tes mots d’une vie
qui s’écoule
vers les égouts de ta panse tendue
ou quelque horizon
flétri
lors d’une nuit aux astres
délaissés

Tu m’as dit
de tes ongles griffe-moi le corps,
et le visage,
griffe !
ma mer de peau,
de tous tes yeux perdus
griffe !
et même des autres !
Me suis exécutée
comme pour des blessures secrètes,
que l’on enlèverait le soir avant de les embrasser et de prononcer des paroles, toutes tachées du sang et des pleurs des bêtes
qui savent bien,
qui savent.
Puis la lune a hurlé
sous le vent qui apportait la brume, touffue,
et j’ai pensé
qu’il faudrait
oublier

Tu m’as dit
de ton autre bouche
aiguisée par ton souffle vert-de-gris mords-moi jusqu’à ce que j’en meure !
et je l’ai fait pour te dire
tu m’aimes,
ne m’oublie jamais
jamais, n’oublie
toutes les corolles
d’une lune qui pleurait
ses étoiles fichées en terre par faute de ton rire mauvais Tu m’as dit
de tes mains étrangle-moi presque, arrache-moi les yeux ou les cheveux ampleur, divine,
et béatitude,
ancienne,
comme un brin d’argent.
Des larmes j’ai ravalé,
noires et pointues comme des crêtes franches, puis j’ai crié avec toi au fond des nuits,
toutes les nuits de l’existence,
celles du soleil
oublié par hasard au bord d’une vie, nue
à moins que ce n’ait été d’une fenêtre, vide

Tu m’as dit
pour toi, toujours,
et il faut bien y croire
à tous ces rêves vendus à la criée des marchands d’âmes. Alors mes soupirs
tendres et salés tels une vague belle
dans la terre de tes pieds sont venus s’immoler, comme une révérence.
Bras tendus vers les cieux pour implorer le monde, mais le ciel n’a pas daigné regarder

Tu m’as dit
marche donc
sur le verre brisé
sens-le te couper la peau,
sens
sens, donc
et marche !
Tendre comme un soir de mai
si belle et délicate ta peau
sous la grande nuit des étoiles et des empalés ;
et gifle !
sur ta joue offerte,
pour tous les mensonges empruntés
au fond de la mer de givre,
aussi pour avoir prétendu aimer et oublié le sel
à jeter sur les plaies
mortes
afin de les raviver

Tu m’as dit
roule, toi,
sur les éclats de verre,
de rêves,
sur tous les verres et les rêves brisés. Ne pense plus,
aux soirs de grande tempête
qui viendront tout essuyer.
Et alors
étoiles,
sur un plateau brillant, offertes à toi pour colmater les brisures
dans les cieux bien trop étales de tous tes mots éteints Tu m’as dit
sur les braises, marche !
marche encore
et brûle-toi donc les pieds.
N’oublie pas – amnésie, criminelle -
les songes pieux comme autant de pensées pleines. N’oublie pas
non,
attends
moi
attends !
Et je rirai,
de toutes mes bouches belles

Tu m’as dit
pour moi
mange !
mange la peau et les cheveux
tout juste arrachés,
mange !
Et j’ai fait comme tu voulais,
autour de tes mains grandes.
Autour d’elles
j’ai dessiné
deux oiseaux décapités qu’une enfant tiendrait dans sa main, morte d’avoir tant cru
ou alors fatiguée,
par toute l’espérance

Tu m’as dit
viens contre moi,
contre moi tout contre,
viens, donc,
viens !
me cracher au visage,
viens, peut-être,
me couper les oreilles
ou leur souffler dessus pour les voir s’envoler,
telles des crapauds tristes.
Et je t’ai dit
que je savais,
que je savais, oui,
les soirs de grands orages rouges qui tonnent dans la poitrine, aussi une envie de soleil
pris au piège d’un grand filet
Tu m’as dit
arrache-toi les pieds,
menus,
d’un coup bref et tendre
arrache !
puis viens,
les déposer sur mon sexe.
Pour toi, alors,
me suis déchaussée
de mes pieds exsangues
qui perlaient joliment. Caressés ils penseront
qu’il fallait bien prétendre exister et moi, douce endormie,
je tremblerai de te connaître encore

Tu m’as dit
les yeux,
pose-les sur ma bouche,
et je n’ai pas craint,
que tu veuilles avaler
deux yeux pers gouttant
doucement
sur l’autel profane de ta peau d’en haut, idolâtre
et rêche comme ton coeur putride

Tu m’as dit
tes mains,
dans les miennes rugueuses !
molles et mortes
tout juste teintées du sang,
vivant,
je les veux, entières !
avec les ongles aussi.
Et je te les ai offertes,
tranchées
comme un quartier de lune que le boucher aurait aimé Tu m’as dit
aussi
le coeur
laisse-le donc en partant sur la table
dans un papier de soie, béni.
- Et si légers, les souvenirs célestes - Mais il m’a bien fallu te dire que je n’avais plus rien
rien, plus,
avec quoi le couper.
Ou alors un rire,
amer,
pour le débiter et te vendre
les morceaux tendus et dévorés, avec bien trop d’avidité
dans l’aube effleurée à peine

Tu m’as dit
avec moi
rouler,
sur les braises soyeuses et sur le verre, avec moi rouler,
jusqu’à l’océan ondoyant
sous la brume puis sous le vent, si rude. Ou l’avons rêvé peut-être, comme une vie suspendue
au vide des béances idoines,
dans cet éclat de vérité, nue.

Et ma tête, donc
me faudra-t-il aussi l’ôter ?! Poussière d’étoile dans tes yeux dévêtus, il te faudra prendre garde aux anges.


Et les clous ne sont pas tombés
et les larmes n’ont pas rouillé. Alors que ton coeur se convulse,
longtemps encore,
sous le dernier baiser de mes lèvres empoisonnées, et que la malédiction de tous tes crucifiés vienne hanter ton âme, laide,
dans toutes ces vies que tu oseras rêver !

Puis je m’en irai et ta main
désespérée
cherchera Dieu,
dans tous les orifices.

© Edith Soonckindt, juin 1994, Roosendaal.