FAQ d’étudiants en traduction

Photo de Nancy Francq
 

Quel a été votre parcours ? Avez-vous suivi une formation spécifique à la traduction littéraire ? Avez-vous été soutenue dans vos choix professionnels ?

Philo aux EU (1 année après le Bac), puis études d’anglais générales à Montpellier III (langues et civilisations anglo-américaines) jusqu’en licence (version/thème dans le lot, mais rien de plus), puis année de maîtrise/Master 1 aux EU, mémoire de traduction (publié ultérieurement chez Rivages. Grace Paley, Les Petits riens de la vie). Aucun encouragement de la part de mon directeur de recherches à part “Ma pauvre Edith, vous ne gagnerez jamais votre vie avec la traduction littéraire”, ce qu'il avait prouvé illico en publiant mon travail sous son nom (!!), mise en garde que j’ai fait mentir largement par la suite... ; mais il est vrai aussi qu’à l’époque de mon mémoire c’était grossièrement sous payé, càd 50 FF du feuillet, moins de 10 euros, je me suis lancée une dizaine d'années plus tard.

A quelle période de votre vie avez-vous décidé de faire de la traduction littéraire et pour quelle raison ? Etait-ce votre premier choix ou un choix par défaut ?

Après 10 années dans l’enseignement supérieur, et tout à fait par hasard, pour ne pas dire par défaut… Je cherchais du travail, une amie prof de fac connaissait un éditeur, et voilà… Cela n’a jamais été une vocation chevillée au corps et tant mieux, j’aurais été trop déçue sinon, tellement ce milieu est difficile. J’avais donc 28-29 ans, j’habitais Nice (pas Paris, où pourtant tout se joue !!) et un contact a fait le reste. Sans ma présence chez cette amie (suite de hasards également), elle n’aurait pas pensé à moi que ces fonctions n’attiraient pas particulièrement (je préparais un Master 2 en communication) et ma carrière n’aurait jamais démarré !! Je n’ai pas cherché à faire carrière non plus (ma passion, c’est l’écriture), le bouche à oreille l’a fait pour moi...

J’ai cru comprendre qu’intégrer ce monde était ardu, quelle en a été votre expérience ? Auriez-vous un conseil en particulier ?

Très dur en effet, et quasiment impossible à percer (encore plus maintenant où les DESS en traduction abondent), et surtout en anglais. Il faut avoir des contacts, savoir les entretenir (aller souvent à Paris), du culot et de la chance (et accessoirement des compétences !). Je vous conseillerais d’avoir une seconde langue rare et obscure qui vous distinguerait des autres et « pourrait » - car ça reste dur, aléatoire et mal payé - vous aider à percer. Et aussi de faire un ou plusieurs stages en maisons d'édition à Paris, histoire de vous faire connaître, ça ne marche que comme ça.

Entrez-vous en contact avec auteurs et éditeurs vous-même, ou est-ce eux qui vous demandent ?

Au départ mon nom a circulé (par je ne sais quel miracle) et ce sont eux qui me contactaient, aujourd’hui aussi. Dans une période plus creuse au milieu - car après Nice je suis partie en Hollande, puis maintenant en Belgique, ce qui n’aide en rien -, j’ai sollicité moi-même, ce qui a marché, mais là, réponse uniquement des maisons qui font travailler à la chaîne, et qui ne sont ni les plus intéressantes ni les meilleures, qui payent mal en prime et sont peu respectueuses : chick litt, SF, Harlequin etc.

Travaillez-vous pour une maison en exclusivité ?

Oh non, personne ne peut se le permettre, sauf si la maison en question sort BEAUCOUP de titres étrangers. Il faut avoir ses œufs dans le plus de paniers possibles pour bien tourner, c’est indispensable.

Comment choisissez-vous un livre ? Avez-vous le choix ?

Pas de choix, non (sauf peut-être quand l’on est un grand traducteur très sollicité), on me propose et je dispose, mais je crois n’avoir refusé qu’un polar sanglant une seule fois parce que c’était au dessus de mes forces (morales). Mon conseil : prenez une autre activité alimentaire/régulière à côté pour tenir le coup (ou épousez un homme riche !!), moi j’ai connu des années terribles (financièrement, et donc moralement) que je ne souhaite pas à mon pire ennemi. Il faut être très solide pour faire ce métier dans les conditions actuelles (assez mauvaises, course à la rentabilité/rapidité etc.).

Quelles sont les langues dans lesquelles vous traduisez ?

De l’anglais (et parfois du néerlandais) vers le français, et du français vers l’anglais (pour le cinéma, des voix off de documentaires, ainsi que des plaquettes artistiques, parfois des articles).

Quel type de traductions êtes-vous le plus souvent amenée à faire ?

Du littéraire (càd non technique), je refuse pratiquement tout le reste ; donc romans, recueils de nouvelles, nouvelles, scénarii parfois (ainsi que voix off & sous titrages) ; à l’occasion pour dépanner les gens je fais du plus général, mais rarement. Une année durant j’ai traduit un agenda UE pour les jeunes mais c’est le moins littéraire que j’ai pu faire.

Avez-vous déjà travaillé dans d’autres domaines que la traduction littéraire, par exemple, pour le cinéma ou la publicité ?

Oui, sous-titrage d’une dizaine de films de l’anglais vers le néerlandais (conjointement avec mon ex époux, néerlandophone), càd réajustement des sous-titres pour le format dvd (c’était il y a 15-20 ans), plus traduction de films documentaires (5) vers l’anglais (voix off) & plaquettes artistiques.

Si oui, en quoi est-ce différent de la traduction littéraire ?

Très peu, ça reste du non technique. C’est néanmoins moins exigeant puisqu’il n’y a pas de publication critique (éditeur/journalistes) à la clé.

Quels sont les points positifs et négatifs de votre métier ?

- Le positif : pouvoir travailler chez soi, tranquillement, à son rythme, sans personne sur le dos, ou en résidences de traductions (cf Citl d’Arles, une merveille).

- Le négatif : l’aléatoire des revenus (faibles dans l’ensemble, sauf les années où, oh miracle inattendu, j’ai traduit des best-sellers), parfois leur totale absence (2 années vides en 20 ans de carrière, depuis je révise à mi-temps pour un bureau UE afin d' éviter ce genre d'incidents qui m’ont valu de gros ennuis), et surtout l’accélération du tempo depuis  quelques années (deux fois moins de temps pour traduire/stress de l’urgence au moment des révisions/corrections etc., très pénible, en fait).

A quoi se résume une « bonne traduction » selon vous ?

Un texte fluide qui sonne français et ne sent surtout pas la traduction !!

Combien de temps passez-vous sur une traduction ?

Autrefois 6 mois à mi-temps, aujourd’hui 3 mois quasiment à temps plein (pénible, manque de recul préjudiciable à la qualité etc.).

Pourriez-vous me décrire une journée de travail remplie ? (bien que je sache pertinemment que la traduction est le métier que je veux faire, je dois avouer qu’il m’est difficile d’en imaginer la teneur journalière)

Pendant des années j’ai vécu (mal) en travaillant de 2 à 4 h pj (plus, je ne pouvais pas ; par ailleurs j’écris, ce qui me passionne beaucoup plus). J’ai eu des pics à 6-8h pj (2 traductions en même temps, l’horreur pour moi). Récemment encore je panachais : traduction (du néerlandais) le matin de 9 à 12,  de 13 à 17 révisions (alimentaire plus régulier et plus stable) et de nouveau traduction de 5 à 7 becoz bouclage de la traduction du matin, à finir sous peu. Aujourd'hui changement de programme (puisque j'ai bouclé la traduction du néerlandais) : le matin, révisions UE, l'après-midi écriture. Si une traduction arrive, je déplacerai l'écriture en soirée, ce qui finit par faire des journées assez pleines !

Votre métier vous rapporte t-il assez d’argent pour en vivre, ou êtes-vous amenée à exercer une autre profession complémentaire ?

Au début j’étais mariée, donc pas de souci, c’était un complément. Puis j’en ai bel et bien vécu pendant 15 ans (ici à Bruxelles) mais très mal (brut=net, je gagnais tellement peu, +/ 1000 eur pm, que je ne payais pas d’impôts. Il y a eu vers la fin 2 années à best-sellers, mais que j’ai payées très cher ensuite, plus une année vide et donc travail en bureau, que j’avais refusé de toutes mes forces jusque là, amour de ma liberté oblige. Hélas, sans argent, la liberté est tout aussi limitée...). Aujourd’hui je complète donc avec des révisions UE pour ne plus jamais connaître la précarité (usante) subie autrefois ; avec le recul, je me demande comment j’y ai survécu, passant des hivers sans manteau et avec des chaussures prenant l’eau que je n’avais pas les moyens de faire réparer. A un moment, je vivais de semaine en semaine, sans même les moyens de m’offrir un café, et je me souviens d’une fête des mères où j’avais les sous pour le timbre mais pas pour la carte, que j’ai faite moi-même !! Du pur Zola, et c’est encore en dessous de la vérité !!!