J’ai rencontré Cathy Ytak un beau jour d’automne 2002 au CITL d’Arles où nous étions toutes deux en résidence de traduction, elle du catalan et moi de l’anglais, et la sympathie a été immédiate. Le contact a été gardé depuis, avec des retrouvailles occasionnelles, que ce soit à Bruxelles, au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, ou encore aux Assises de la traduction littéraire d’Arles. Nous avons toutes deux écrit pour Lito, dont des textes dans un recueil collectif intitulé Mes Monstres et moi, ainsi qu’un texte chacune dans le recueil collectif A chacun sa cabane (La cabane sur le chien). Je suis sa production, pour le moins abondante, depuis toutes ces années, avec un petit faible pour ses histoires jeunesses et ses livres pratiques, ce qui m’a donné l’idée de l’interviewer pour vous aujourd’hui et de vous la faire découvrir si jamais, par extraordinaire, vous ne connaissiez pas encore cette auteure multitalentueuse ! Il y a toujours beaucoup à apprendre sur un métier dans les réponses que donne celui, ou celle, qui l’exerce… Puissent les siennes vous encourager dans la belle voie de l’écriture. Comme vous pourrez en juger, elles sont multiples !
1- Cathy, le moins que l’on puisse dire c’est qu’entre auteur jeunesse, adulte (de livres pratiques aussi) et traductrice littéraire, tu portes de multiples casquettes. As-tu une préférence pour l’une d’entre elles, ou chacune te plaît pour des raisons différentes ?
D’abord, merci de m’accueillir comme ça, chez toi ! C’est un plaisir de te retrouver. Tu sais, je crois que mes casquettes, je les ai toutes choisies à ma mesure, et je les aime autant les unes que les autres. Et j’aime par-dessus tout pouvoir en changer à ma guise !
2- D’où te vient ton envie, et ton goût, d’écrire pour la jeunesse ?
Écrire pour la jeunesse, au départ, n’était pas un choix. Mais mon premier roman Place au soleil est sorti aux éditions du Seuil dans une collection qui était à la fois dans le catalogue adulte et le catalogue jeunesse. Puis d’autres éditeurs jeunesse ont fait appel à moi. Je me suis sentie bien dans ce milieu, et j’y suis restée.
3- Tu écris des albums pour les petits autant que des romans pour adolescents, comment jongles-tu entre les uns et les autres ?
En fait, très facilement. Les uns me reposant des autres ! Parfois, certains de mes romans pour ados sont un peu lourds à porter, surtout lorsque j’aborde des sujets pas trop faciles (comme le suicide, la maltraitance, l’homophobie, par exemple). Alors, pour faire retomber la pression, écrire en parallèle une histoire rigolote pour les plus jeunes, il n’y a rien de mieux !
4- Y en a-t-il un (album ou roman) pour lequel tu éprouverais une affection particulière et dont tu nous recommanderais la lecture ?
Oh là là… ça… c’est comme demander à un parent quel enfant il préfère ! Alors je vais te faire une réponse du moment, parce que c’est tout frais… J’ai un monologue pour les ados/adultes qui vient d’être réédité par les éditions Actes Sud Junior, dans la collection « D’une seule voix ». Il s’intitule 50 minutes avec toi. Et c’est sûrement le texte que je suis le plus fière d’avoir écrit.
5- As-tu des thématiques de prédilection, des projets en stock ?
C’est l’humain qui m’intéresse. Comment il fonctionne, comment il entre en relation avec les autres. Depuis quelques années, je m’intéresse beaucoup à tout ce qui touche à la sexualité, au droit d’aimer. Mais mon dernier petit roman jeunesse La Seule Façon de te parler traite, lui, de la langue des signes. Quant aux projets, oui… Des écritures à quatre mains, un roman ado et des choses plus courtes pour les plus jeunes…
6- Et du côté romans pour adultes, il se passe quoi ?
Mes textes publiés dans la collection « D’une seule voix », chez Actes Sud, et qui sont a priori pour des ados, peuvent aussi bien trouver leur place dans la case « textes pour adultes ». Du coup, pour l’instant, je n’ai pas tellement envie d’aller voir ailleurs.
7- Je crois me souvenir que c’est dans des conditions bien particulières que tu t’es découvert un amour pour le catalan. Peux-tu nous en dire plus sur ce parcours-là ?
Je suis tombée amoureuse de Barcelone, et de la langue catalane, comme on tomberait amoureuse d’un être humain, sans crier gare. Lors de mon premier voyage en Catalogne, j’ai découvert le travail du chanteur engagé Lluís Llach. J’ai aimé sa musique, sa voix… Et au départ, j’ai appris le catalan pour savoir ce qu’il racontait dans ses chansons !
8- Un auteur préféré parmi ceux que tu as traduits, aussi réductrice que puisse être cette question, j’en ai bien conscience.
Ah oui, ça, c’est difficile, parce que j’ai la chance de n’avoir traduit, jusqu’à présent, que des auteurs que je voulais traduire. Donc que j’aime particulièrement. Il y a Lluís-Anton Baulenas, pour son côté foisonnant, riche, captivant et drôle ; Sebastià Alzamora pour son écriture baroque ; Joan-Lluís Lluís pour son engagement ; Joan-Francesc Casteix-Ey pour sa poésie ; et Maria Mercè Roca. Je crois que c’est avec Maria Mercè Roca que j’ai le plus d’affinités au niveau de l’écriture. Elle sait faire naître des émotions en partant de presque rien. C’est magique, mystérieux, et ça me touche beaucoup.
9- Quelles spécificités y a-t-il à traduire du catalan ? Y rencontre-t-on des difficultés particulières ?
Le catalan est une langue latine. Sa proximité avec le français est parfois trompeuse… Donc la difficulté, c’est de ne pas se laisser emporter par ce qu’on croit savoir… Et se méfier des expressions toutes faites ! Pour te donner un exemple tout bête : « fer els ulls grossos », signifie littéralement « faire les gros yeux ». Seulement, en catalan, l’expression signifie « fermer les yeux » sur quelque chose ! Il faut donc parfois avancer avec prudence.
10- Et tes livres pratiques (pain, compotes and co), comment en es-tu venue à emprunter cette voie-là ?
Par un pur et joli hasard d’une brioche apportée à un de mes éditeurs jeunesse, qui en a parlé à un éditeur de livres de cuisine… Et de fil en aiguille (ou de levain en farine ?), on m’a proposé de faire un livre de recettes de pain. Et faire un livre sur le pain, c’était un rêve, pour moi ! Après, d’autres livres de recettes ont suivi.
11- Si j’en crois ta page Facebook, où tu es très active, tu te promènes beaucoup entre salons et animations. C’est important aussi, dans une vie d’écrivain ?
Oui. Aujourd’hui, je n’imagine plus écrire des livres sans pouvoir aller en parler avec mes lecteurs. Ça fait partie intégrante de mon travail. Au départ, ce n’était pas très évident. Je suis plutôt timide. Mais peu à peu, j’ai pensé que c’était une chance. Et la rencontre avec les jeunes, surtout avec les ados, me plaît beaucoup. Ce n’est pas toujours facile, mais ça me plaît. Donc, oui, je bouge pas mal, un peu partout en France, en Suisse et en Allemagne. Et depuis quelques années, j’ai ajouté la lecture à voix haute à mes activités. Pour des ados qui se sont éloignés de la lecture, c’est une manière de les ramener vers le livre, en douceur. Ça marche très bien.
12- Des conseils à prodiguer à de futurs auteurs ou traducteurs ?
Pour les futurs auteurs, je conseille toujours d’être patient et têtu. Ne pas se laisser abattre par le silence des éditeurs, par leurs refus parfois abrupts. Ce n’est pas toujours évident ! Aux futurs traducteurs, où à ceux et celles qui entrent dans ce beau métier, ne pas hésiter à se rapprocher de centres de formation. En France, à Paris, il y a maintenant l’ETL, l’Ecole de Traduction Littéraire. On y apprend des techniques de traduction, mais aussi à comprendre de quoi est fait ce métier bizarre, tellement riche et tellement exigeant. A l’ETL, j’anime de temps en temps des ateliers d’écriture, et j’adore ça.
13- Cathy, pourquoi écris-tu ?
Oh… c’est une question tellement vitale, et tellement intime aussi !
Pendant longtemps, je n’ai appréhendé le monde qui m’entourait qu’à travers l’écriture. C’était à la fois un filtre, un révélateur et une protection.
Aujourd’hui, je crois que j’écris comme je fais du pain ou de la cuisine, simplement pour le bonheur du partage. J’aime le plaisir que me procure l’écriture, et j’aime aussi quand mes mots sont capables de faire naître des émotions dans le regard de ceux et de celles qui les lisent.
14- Y aurait-il sinon une question primordiale que j’aurais oublié de te poser ?
Puisque tu m’en donnes l’occasion (merci, merci !), je voudrais terminer par quelque chose qui me tient très à cœur. Avec deux de mes collègues écrivains, amis et complices, Thomas Scotto et Gilles Abier, nous proposons des lectures à voix haute de nos textes, pour un public d’ados ou d’adultes, depuis quelques années. Et nous venons tout juste de créer « L’atelier du trio » pour aller plus loin dans notre démarche. Nous proposons donc des lectures croisées de nos livres, et nous préparons actuellement une expo sur notre travail d’écriture, à l’attention des médiathèques. Nous avons également un projet de résidence d’écriture à trois… Et ça, dans ce métier si solitaire qu’est le nôtre, c’est très excitant et très stimulant !
Cathy, merci infiniment d’avoir pris le temps de partager ton univers avec nous, longue et belle route éditoriale à toi !
Merci Edith, de m’avoir ouvert les colonnes de ton blog ! Et merci pour les rires, les émotions et les musiques ; tous ces moments délicieux passés avec toi, au Collège des traducteurs, à Arles. Ils restent gravés en moi comme des temps forts de ma vie.